Sur le Chicago Board Options Exchange, où sont regroupées les actions de 1400 grandes entreprises, 4 744 options à la vente d’actions de United Airlines sont achetées entre le 6 et le 7 septembre 2001, contre seulement 396 acquises à l’achat (douze fois moins) ; 4 516 options d’American Airlines sont également acquises, contre 748 à l’achat (six fois moins). Ces niveaux sont vingt-cinq fois supérieurs à la moyenne des transactions opérées habituellement sur les deux compagnies aériennes, alors qu’aucune information ne justifiait une telle démultiplication des échanges. A la réouverture du marché américain le 17 septembre, l’action United a chuté de 42 % et l’action American Airlines de 39 % : le gain réalisé est au moins de quatre millions de dollars. Les analyses conduites sur ces opérations concluent sans ambigüité à un délit d’initié : le timing est trop parfait et la transaction est à la fois trop spécifique, trop importante, trop éloignée des niveaux habituels et trop spéculative.
Mais les deux compagnies aériennes n’ont pas été les seules firmes concernées par des mouvements boursiers très suspects. Les entreprises qui avaient notoirement leurs bureaux dans les tours ont été les cibles de semblables spéculations, à l’image de la banque Morgan Stanley (présente sur 22 étages de la Tour 2) dont le volume des options à la vente est monté à quatre-vingt fois sa valeur moyenne entre le 6 et le 10 septembre 2001. L’action chute de 13 %, ce qui rapporte plus d’un million de dollars aux spéculateurs. Même scénario pour la banque Merrill Lynch : volume multiplié par cinquante, action qui chute de 11,5 % et gain minimal de 5,5 millions de dollars. Par ailleurs, des achats anormalement élevés de bons du Trésor américain à cinq ans (dette publique américaine) ont été commis juste avant les attentats, après lesquels la valeur de ces bons a brusquement augmenté.
Ces mouvements inhabituels n’étaient certainement pas passés inaperçus aux yeux des acteurs des marchés financiers, mais la loi du silence règne dans ce microcosme. Certains témoignages affirment même que la réaction générale n’était pas l’indignation, mais le regret de ne pas en être.
Des volumes atypiques, très rares, sur certains titres peuvent laisser penser à des délits d'initiés. " Six ans après les attentats du World Trade Center, c'est la conclusion troublante d'une récente étude de Marc Chesney et Loriano Mancini, professeurs à l'université de Zurich. Les auteurs, l'un spécialiste des produits dérivés, l'autre économètre, ont travaillé sur les options de vente, utilisées pour spéculer à la baisse, de 20 grands groupes américains, notamment dans l'aéronautique et la finance. Leur analyse porte sur les transactions réalisées entre le 6 et le 10 septembre 2001 comparativement aux volumes moyens enregistrés sur longue période (une dizaine d'années pour la plupart des sociétés). Les deux spécialistes ont par ailleurs calculé la probabilité que plusieurs options d'un même secteur connaissent des volumes significatifs en quelques jours. « Nous avons essayé de voir si les mouvements enregistrés sur certains titres peu avant les attaques étaient courants. Or nous montrons que, pour certaines sociétés comme American Airlines, United Airlines, Merrill Lynch, Bank of America, Citigroup, Marsh & McLehnan, ils sont d'une grande rareté d'un point de vue statistique, a fortiori en les comparant aux volumes observés pour d'autres valeurs comme Coca-Cola ou Hewlett-Packard, explique Marc Chesney, ex-professeur à HEC, auteur de « Blanchiment et financement du terrorisme » (éditions Ellipses). Par exemple, 1.535 contrats d'options de vente à échéance octobre 2001, à 30 dollars, ont été échangés sur American Airlines le 10 septembre, contre une moyenne quotidienne d'environ 24 contrats sur les trois semaines précédentes. » Le fait que le marché soit baissier à l'époque « n'explique pas assez ces volumes surprenants ».
Des gains « énormes »
Les auteurs ont aussi étudié le rendement des options de vente et d'achat pour un investisseur ayant acheté un produit entre le 6 et le 10. « Pour certains titres, les gains ont été énormes. Par exemple, des investisseurs ayant acquis des options de vente de Citigroup avec une maturité à octobre 2001 auraient potentiellement pu gagner plus de 15 millions de dollars », indique-t-il.
Du recoupement des données entre les volumes et les rendements, les deux auteurs concluent que « la probabilité qu'il y ait eu délits d'initiés est forte pour American Airlines, United Airlines, Merrill Lynch, Bank of America, Citigroup et JP Morgan. Ce n'est pas une preuve juridique mais le résultat de méthodes statistiques montrant des signes d'irrégularités ».
L'étude n'est certes pas le premier article sur d'éventuels délits d'initiés autour des attentats mais elle est troublante au regard des conclusions des autorités de régulation. Dès septembre 2001, la SEC et ses homologues européennes se sont intéressées aux mouvements boursiers atypiques avant les attentats.
Dans un communiqué de juillet 2004, le régulateur américain précise qu'il a examiné plus de 9,5 millions de transactions dans les semaines précédant le 11 septembre, puis remis ses conclusions à la commission nationale sur les attaques terroristes.
Selon cette commission, certaines transactions inhabituelles ont certes eu lieu mais chacune a trouvé des explications non délictueuses. Les autorités évoquent, par exemple, des conseils d'analystes pour expliquer certaines hausses des volumes.
Même tonalité du côté de l'ex-COB, devenue l'AMF, qui précise dans son rapport annuel de 2002 : « Les éléments recueillis n'ont pas permis de mettre en évidence que des groupes financiers liés aux instigateurs des attentats aient pu utiliser la Bourse pour réaliser des opérations. "