Le 9 septembre 2001, le chef charismatique de la résistance afghane meurt dans un attentat-suicide. Ce jour-là, il reçoit dans son fief, au nord de l'Afghanistan, deux hommes qui se font passer pour des journalistes. D'origine arabe, présentant des passeports belges, ils n'éveillent pas l'inquiétude du commandant. Il leur demande d'allumer leur caméra. Alors qu'ils posent leur première question, la caméra explose.
Au lendemain de l'attentat, la confusion règne sur l'état de santé du commandant Massoud. Les Américains et les russes le donnent pour mort ; ses proches, en bonne santé. Il serait en fait mort dans l'hélicoptère qui le transportait à l'hôpital. La disparition de celui que l'on surnomme "le lion du Panchir" est rapidement attribuée aux talibans qu'il combat depuis des années. Elle est en réalité planifiée depuis de longs mois par Al-Qaïda.
Deux jours plus tard, ce sont les attentats du 11 septembre. La mort de Massoud en est le prélude.
Tué le 9 septembre 2001, il y a 10 ans, le commandant de l'Alliance du Nord redoutait l'amplification de la menace terroriste. L'ennemi n°1 des talibans et d'Al-Qaeda avait confié ses craintes à un officier de la DGSE.
Pourquoi la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a-t-elle maintenu une présence en Afghanistan après le départ des Soviétiques, en 1989?
La valeur d'un service de renseignement se juge beaucoup à son aptitude à anticiper les crises. Dans les années 1980, la DGSE soutient les moudjahidines en les formant et en les armant quelque peu. Après le retrait de l'Armée rouge, certains officiers plaident pour que cet investissement ne soit pas dilapidé. C'est pourquoi, en particulier, le service Mission (SM) reprend la liaison auprès de Massoud.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce service ultrasecret?
Le SM a été créé en 1989 afin de recueillir du renseignement là où la DGSE n'est pas représentée. Ses membres sont des hommes et des femmes, civils ou militaires, recrutés pour leur résistance aux stress les plus divers et pour leur capacité d'adaptation. Tous agissent sous couverture et avec une identité fictive.
Deux jours avant l'attentat qui allait changer la face du monde, Ahmed Shah Massoud, incarnation de la résistance afghane à l'occupation russe (1979-89), puis au régime Taliban (1996-2001), était tué par deux kamikazes déguisés en journalistes, commandités par Oussama Ben Laden.
Et si le «Lion du Panjshir», du nom des vallées innacessibles de l'est afghan où il s'était retranché avec ses moudjahidins, avait survécu ? Après tout, il s'en est fallu de peu pour que ses tueurs, Dahmane Abd el-Sattar et Rachid Bouraoui el-Ouaer, deux tunisiens recrutés en Belgique, n'échouent leur mission. Seule une succession d'imprudences a permis aux apprentis cameramen d'approcher Massoud dans son fief de Khadja Bahauddin, un village proche de la frontière avec le Tadjikistan.
L'échec de l'assassinat du commandant Massoud aurait-il entraîné le report des détournements d'avion du 11 septembre ? C'est très improbable. Selon Karim Pakzad, chercheur afghan à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) : «le 11 septembre était préparé de longue date, alors que l'opération de l'assassinat de Massoud était relativement plus aisée. En 2001, Massoud ne contrôlait qu'un petit réduit dans le nord-est et ne représentait plus, sur le plan militaire, une menace pour les Talibans.»
Reste qu'en les débarrassant de leur principal adversaire, le chef d'Al Qaeda pouvait croire ses alliés capables de faire face à l'invasion américaine qui allait inévitablement suivre l'attaque contre New York et Washington. Pour Ben Laden, l'Afghanistan allait devenir le tombeau des GI de l'Oncle Sam, après celui des Soviétiques. L'actualité semble aujourd'hui lui donner raison.
En revanche, il est incertain que les Etats-Unis aient soutenu Massoud si ce dernier avait été vivant. «Il aurait été comme d'autres chefs de l'Alliance du nord un interlocuteur à la Conférence de Bonn. De là à penser que Massoud aurait bénéficié du soutien américain pour arriver au pouvoir, la réponse est non. Les Etats-Unis connaissaient les structures du pouvoir en Afghanistan et ils ont cherché un Pachtoun qui soit fidèle à leurs intérêts.»
Coqueluche des démocrates européens, le stratège tadjik avait pourtant été invité par Nicole Fontaine en avril 2001 à s'exprimer devant le parlement de Strasbourg. Coiffé de son éternel pakol, il y avait notamment dénoncé le risque que représentait un régime Taliban aidé par Oussama Ben Laden, avertissant même les Etats-Unis de funestes conséquences en cas de non-intervention...
Néanmoins, comme le rappelle Karim Pakzad : «Massoud a effectivement été un héros de la résistance contre l'URSS et un chef militaire hors de commun. Mais, il a été un piètre politique, responsable en partie de la guerre civile de 1992-1996.» Massoud avait en effet briévement occupé le poste de ministre de la Défense dans le gouvernement de Burhanuddin Rabbani après la chute du régime communiste de Mohammed Nadjibullah (1986-92). La coalition nationaliste avait vite explosé en raison des dissensions avec les Ouzbeks de Rachid Dostom et les Pachtouns fondamentalistes de Gulbuddin Hekmatyar, laissant grande ouverte la porte aux Talibans venus du Pakistan.
Une version que conteste l'ancien représentant de Massoud à Paris, Mehrabodin Masstan : «la propagande de certains milieux mal-intentionnés, véhiculée par les pakistanais, a eu comme résultat de mettre Gulbuddin Hekmatyar, l'agresseur soutenu par le Pakistan, dans le même box d'accusé que le Commandant Massoud, l'agressé. La coalition internationale a causé des dégâts considérables auprès de la population civile depuis 8 ans, ce n'est pas pour autant qu'on les met dans le même sac que les Talibans et Al Qaeda.»
Même si le Massoud de 2001 était peut-être différent de celui de 1992, rien n'indique qu'il serait parvenu à fédérer la nation afghane, notion d'ailleurs conceptuelle compte tenu de la mosaïque tribale qui la compose. L'actuelle joute électorale montre encore le poids des ethnies dans la politique afghane.
Gilles Dorronsoro, chercheur à la Fondation Carnégie de Washington, l'expliquait dans une récente tribune : «Après 1992, les partis afghans se sont appuyés sur les ressentiments et les tensions sociales pour se bâtir sur des bases ethniques.» La situation d'aujourd'hui n'est guère différente. Avec une participation évaluée à un tiers des électeurs inscrits, une multiplication des fraudes avérées et de constants revirements d'alliances, l'élection présidentielle peine à créer l'illusion d'une véritable démocratie. C'est en réalité la présence de la coalition internationale qui impose depuis 2001 un consensus aux différents chefs tribaux, «unis» contre les Talibans. Mais, ajoute Gilles Dorronsoro, «si les Talibans commencent à apparaître comme les vainqueurs du conflit, ils en rallieront d'autres à leur cause.»