La question sociale est en soit très complexe. Les concepts de la triarticulation sociale (encore appelée tripartition sociale ou trimembrement social) constituent un outil pour en saisir l'essentiel, et sur cette base, pour en comprendre les détails et agir localement. Les divers auteurs des articles publiés sur ce site (tri-articulation.info) tentent de les expliciter et d'en proposer des applications pratiques. Leur compréhension du trimembrement de l'organisme social est susceptible d'évoluer avec le temps. Les auteurs peuvent évidemment aussi se tromper dans leurs interprétations. Le risque d'erreur fait partie de toute démarche de recherche! Nous ne pouvons dès lors qu'inviter les lecteurs à prendre connaissance des concepts à leur source, c'est-à-dire dans les ouvrages de base (voir la bibliographie sommaire).
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Si nous considérons l'organisme humain, nous rencontrons trois systèmes juxtaposés dont chacun agit avec une certaine indépendance, obéissant à des modes de fonctionnement qui leurs sont propres :
Nous pouvons remarquer qu'une bonne coordination de l'activité autonome de ces trois systèmes assure la santé à l'organisme.
Si nous observons maintenant l'ensemble de la vie sociale, nous pouvons constater que celle-ci est « organiquement » formée de trois sphères d'activité interdépendantes mais qui obéissent néanmoins à leurs propres lois. On peut parler d’un « organisme social ».
Attention, le but de la comparaison avec le corps humain n'est pas de transposer à la vie sociale une vérité conforme aux lois de la nature mais à ressentir ce qui est viable en observant l'organisme humain et de l'appliquer ensuite à la société humaine.
À partir de cette distinction entre les trois parties de l'organisme social, Rudolf Steiner s'interroge sur les domaines propres d'application des trois termes de la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.
Les hommes qui ont exigé (à la fin du 18ème siècle et ensuite) la réalisation des trois idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité pouvaient ressentir obscurément ces forces évolutives de l'humanité nouvelle mais ne pouvaient en même temps surmonter leur croyance à l'État unitaire (caractérisé par une centralisation au sein d'une même structure des trois domaines d'activités vu plus haut) au sein duquel ces trois impulsions ne peuvent entrer qu'en contradiction.
Il s'agit de reconnaître que ces trois principes de la révolution sont antinomiques entre eux si on tente de les appliquer dans tous les domaines de la vie. La lecture de l'histoire conduit à constater que c'est presque toujours l'empiétement d'un domaine sur les autres, ou l'application d'un principe non adéquat à une partie de la vie sociale, qui est responsable des conflits, voire du chaos.
La liberté sans frein appliquée au domaine de l'économie a des conséquences insupportables pour le corps social. Par exemple, lorsque pour minimiser les coûts, l'économie impose le travail des enfants (jusqu'à 12 heures par jour !) ou encore lorsque l'environnement en est gravement et durablement pollué.
Ce qui est également malsain consiste à utiliser le pouvoir économique pour imposer ses propres intérêts au droit public sous forme de lois.
Mais il en va de même si l'on veut soumettre totalement l'économie à l'État et à un principe d'égalité qui ne correspond pas à ce qui se déroule dans cette sphère de la vie sociale. Les processus économiques ne sont pas réglés par voie de scrutin démocratique mais par le langage des besoins. Au sein du circuit économique, l'un sert les intérêts particuliers de l'autre en fonction de ses compétences.
De plus, on ôte l'efficacité et la mobilité à la vie économique si celle-ci est gérée par une administration étatique.
L'application du principe d'égalité au domaine culturel serait tout aussi dénuée de sens que celui de la liberté au domaine du droit. Rendre l'école accessible à tout le monde est une chose mais imposer un programme pédagogique officiel comme un « moule » entrave le libre développement des facultés individuelles. La vie culturelle ne doit pas être au service de l'État ou de l'économie.
Enfin, il ne s'agit pas d'utiliser l'autorité du savoir ou des préceptes religieux pour imposer des lois ou s'assurer des privilèges économiques.
Les trois idéaux de la révolution française ne peuvent se réaliser qu'au sein d'un organisme social tri-articulé répondant à une triple exigence :
Ainsi, pour agir sainement, l'ensemble social formera de manière organique trois éléments autonomes se soutenant l'un l'autre par le fait que chacun a son autogestion spécifique issue de ses forces particulières.
Ces trois domaines ne sont plus centralisés au sein d'un État unitaire qui les règlemente. Seules des institutions garantissant à chacun de ces domaines le plein épanouissement de ses lois propres, sans ingérences réciproques, permettront de voir les problèmes sous leur vrai jour et de leur appliquer les traitements efficaces parce qu'appropriés à leur nature.
Au sein de cet organisme tri-articulé, au lieu d'être confiné dans une classe sociale, chaque homme sera enraciné dans chacune des trois parties et établira des liens entre elles.
Les idées présentées dans ce fascicule sont issues des concepts de la tri-articulation de l'organisme social, proposés pour la première fois par Rudolf Steiner dans son livre « Éléments fondamentaux pour la solution du problème social ». Cet ouvrage est paru en 1919 avec un tirage de plus de 80.000 exemplaires.
L'auteur, scientifique et philosophe, est né en Autriche en 1861 et mort en Suisse en 1925. Sur base d'une science rigoureuse étendue aux phénomènes suprasensibles, il a donné des impulsions novatrices dans différents domaines : Pédagogie (écoles Waldorf), thérapie, médecine, agriculture (biodynamie), architecture, artistique, ... Ces impulsions continuent encore à se développer aujourd'hui et sont encore «révolutionnaires».
Rudolf Steiner, de famille modeste, placé par son origine autrichienne au centre même des courants politiques et sociaux qui bouleversèrent l'Europe au premier quart du XX ème siècle, avait participé dès les années 1900 à 1905 au mouvement d'éducation populaire. Convaincu que la première tâche était, non pas d'embrigader des masses incultes, mais de les former, il avait participé avec un succès considérable à l'édification des premières universités populaires à Berlin.
Mesurant immédiatement la portée non seulement militaire, mais économique, sociale, culturelle de la première guerre mondiale, il reprit avec insistance son activité sociale, établissant le diagnostic et proposant la thérapeutique appropriée à la situation internationale d'alors.
Après la révolution en Allemagne de novembre 1919 qui mit fin à l'Empire Allemand et conduit à la création de la république de Weimar, dans une atmosphère de profond découragement et de désespoir, Rudolf Steiner poursuit ses efforts pour apporter des perspectives nouvelles. On requérait son aide de nombreux côtés, notamment à Stuttgart où il parla devant des milliers d'ouvriers des usines Bosch, Delmonte et Daimler.
Ainsi se forma, afin de promouvoir la réalisation de ses idées dans le domaine social, une « Association pour la tri-articulation de l'organisme social ». Malheureusement, Rudolf Steiner ne fut pas entendu. Devant l'égoïsme des chefs d'entreprise, la méfiance des syndicats, le manque d'intérêt des politiciens à ce qui était vraiment nouveau, il mit fin à cette tentative d'apporter une solution à la question sociale.
Certes les épiphénomènes de la vie publique semblent s'être modifiés depuis lors mais les questions de fond demeurent les mêmes. La tri-articulation reste plus que jamais extrêmement moderne...
La tri-articulation sociale n'est pas une théorie abstraite, un programme politique rigide, une idéologie nouvelle censée remplacer une autre, des recettes miracles ou une solution toute faite. Il ne s'agit pas de réaliser une société idéale à partir d'institutions qui devraient apporter le bonheur de tous.
Les idées de la tri-articulation sont profondément réalistes car elles sont acquises à partir d'une observation approfondie des lois et forces vivantes (et donc évolutives) qui sont à la base de la vie sociale. Elle tient compte des réalités économiques (division du travail, capital,...), de la conscience du droit acquise par l'humanité (démocratie) ainsi que des besoins actuels de l'homme (tant matériels que spirituels).
Sur base de la connaissance de ces forces, il s'agit d'inventer continuellement les remèdes adéquats (institutions et leur fonctionnement) car nous avons à faire à une vie sociale en perpétuelle évolution. Selon Rudolf Steiner, « il ne s'agit pas d'imposer le nouveau par la destruction de l'ancien mais d'implanter le nouveau à côté de l'ancien, de construire à partir de ce qui existe déjà. De façon lente et organique, l'ancien sera ensuite éliminé. L'idée de la tri-articulation n'est pas un programme portant sur l'ensemble de l'organisme social mais peut au contraire se développer à partir d'initiatives isolées. La transformation de l'ensemble s'effectuera par l'extension progressive de ces cellules sociales isolées ».
L'objectif de l'économie se limite à régler la production, la circulation et la consommation des biens et services de la manière la plus avantageuse possible pour tous les parties.
L'homme y satisfait ses besoins et y exerce son activité. Chacun y a ses intérêts particuliers. L'un sert les intérêts de l'autre.
La nature d'une économie moderne et fraternelle
Les ensembles économiques se sont élargis au cours de l'évolution de l'humanité. De l'économie familiale fermée, nous sommes arrivés, en passant par l'économie urbaine et nationale, à une économie mondiale. Ces économies nationales sont issues de forces politiques provenant d'un État qui veut réglementer, organiser de l'extérieur la vie économique. Actuellement, nous pouvons constater une certaine confusion entre l'économie et l'État.
Or, la vie économique aspire à s'édifier elle-même sur ses propres forces. Cette autogestion peut se faire via l'activité complémentaire d'associations formés librement par secteur d'activité économique (par exemple : production agricole et alimentation, mobilité et déplacements, logement, habillement, etc.) et qui grouperont des cercles de consommateurs, de commerçants et de producteurs à partir d'un niveau local (leur dimension se réglera d'elle-même selon les circonstances de la vie).
Ce ne sont pas les lois abstraites du marché basées sur une maximisation des profits qui règleront la production, la circulation et la consommation des biens, mais les êtres humains au sein de ces associations, par leur compréhension directe des besoins de chaque membre. Dans une association, une bonne harmonie peut régner entre les intérêts des participants grâce à la compétence et l'expérience professionnelle ainsi qu'à la confrontation des jugements de chacun.
Avec l'apparition de la division du travail, les besoins de chacun(e) sont totalement couverts par la collectivité. En échange, chacun(e) travaille pour satisfaire les besoins des autres. Le processus économique devient de ce fait de plus en plus altruiste, objectivement (mais pas au niveau du vécu subjectif, c'est-à-dire au niveau des représentations que chacun se fait du processus économique : la plupart des êtres humains continuent actuellement de croire qu'ils travaillent pour eux-mêmes, ce qui n'est objectivement pas le cas).
Cependant, la complexification de l'économie et la division du travail font perdre la conscience du processus d'ensemble de l'économie dont plus personne n'a une vision claire. L'usage de modèles mathématiques abstraits et alambiqués pour appréhender les processus économiques, ne fait qu'éloigner le regard des processus réels et brouiller leur compréhension.
Il s'agit donc de reprendre en main l'économie sur base d'une conscience claire d'ensemble: le mécanisme de l'offre et de la demande sera remplacé par la libre expression et l'observation rationnelle des besoins ainsi que par des engagements contractuels entre partenaires, au sein des associations économiques, qui deviendront le véritable centre de gravité, humain, de l'économie.
La « main invisible » du marché supposée apporter le bonheur du plus grand nombre fera place à ces « organes de perception et de décision » objectifs se trouvant le plus près possible des processus économiques, que constituent les associations économiques. Elles peuvent aussi faire naître un sens plus aigu des responsabilités dans l'économie par le fait qu'elles sont capables d'informer les individus, membres des associations, sur les conséquences que leur manière d'agir entraîne pour la collectivité.
Les décisions prises au sein des associations seront d'autant plus au service de l'intérêt général qu'auront été formés des jugements en groupe afin de satisfaire les besoins de chacun.
Dans ces associations ne siègeront pas des « salariés » (représentés par des syndicats formés selon des points de vue politiques et non économiques) qui useront de leur puissance pour exiger, de l'entrepreneur des salaires aussi hauts que possible, mais des « travailleurs » qui agiront de concert avec les directeurs de la production et les représentants des consommateurs, pour établir, en réglementant les prix, une production correspondant à sa contrepartie.
Une administration centrale de l'économie
L'ensemble du corps économique sera constitué par l'activité complémentaire d'associations formées d'hommes ayant les mêmes intérêts professionnels, ou les mêmes intérêts de consommation qui, par des échanges réciproques, mettront sur pied l'ensemble de l'économie.
Ces associations professionnelles convergent au sommet en une administration centrale de l'économie qui possède ses propres organes de décision et d'organisation.
Les tableaux ci-dessous permettent d'entrevoir en quoi l'économie associative se distingue de l'économie de marché et de l'économie planifiée, et forme, au sein d'un organisme social "tri-articulé", la base d'un nouveau paradigme économique :
Économie de Marché | Économie associative | Économie planifiée | |
---|---|---|---|
Centre de gravité de l’économie | Le Marché (« main invisible ») | Libres associations économiques | État central planificateur |
Critère de mise en production ou distribution d’une marchandise | Selon le profit réalisé sur le produit | Libre expression et observation rationnelle des besoins humains. Compréhension sociale | Selon le plan centralisé |
Organisation de la relation entre production et consommation | Mécanisme de l’offre et de la demande | Concertation. Recherche et fixation du vrai prix des marchandises. Négociations à caractère contractuel | Gestion centralisée et bureaucratique (gestion « mécanique » par l’État central) |
Spécificités de l'allocation des moyens de production, des capitaux, de la terre... dans une économie associative fondée sur une tri-articulation consciente de l'organisme social
Économie de Marché | Économie associative | Économie planifiée | |
---|---|---|---|
Disposition du capital et des moyens de production | Propriété privée | Libre usage (« propriété privée ») aussi longtemps que le producteur est en mesure d’y consacrer ses capacités individuelles dans l’intérêt collectif. | Propriété collective |
Mode d’allocation de la propriété du capital, des biens fonciers, de la terre, des moyens de production | Par achat (acquisition). Les moyens de production, la terre et le capital sont des marchandises. | Par transfert sur une base purement juridique (pas par achat) selon la législation établie par l'État (celle-ci n'existe pas telle quelle actuellement!), sur base des capacités individuelles des futurs propriétaires, estimées par le précédent propriéaire ou par une institution de la vie culturelle indépendante de l'État. | Pas d'allocation à des propriétaires privés. Les biens fonciers, le capital, etc. sont gérés par des fonctionnaires ou des représentants de l'État. |
Pour en savoir davantage sur les associations économiques et l'économie associative, leur structure, leur fonction, des exemples concrets, etc. consultez l'article suivant : L'économie associative - Un aperçu .
L'activité économique se réalisera à l'intérieur des limites naturelles mais aussi juridiques.
L'économie repose sur les ressources naturelles disponibles. La quantité de travail dépend du rapport entre l'homme et la base naturelle de son activité économique. Par exemple, les écarts de rendements agricoles d'une région à une autre (dus au climat, à l'aspect géographique de la région, à la richesse du sol, ...) ont des conséquences sur la quantité de travail à mettre en oeuvre.
De la même manière qu'avec les ressources naturelles, le système économique devra compter avec ce qui est du droit comme une condition préalable à l'activité économique. Il sera tributaire des rapports juridiques établis par l'État (temps de travail, droit du travail, règles de mise à disposition des moyens de production, du capital, protection de l'environnement, fixation de la quote-part déterminant le partage des bénéfices de la vente des marchandises, entre travailleurs et dirigeants d'entreprises, ...).
Les hommes travaillant dans l'économie doivent recevoir une législation émanant de sources extérieures à la vie économique et se borner à l'appliquer dans celle-ci. Une organisation économique livrée uniquement à ses propres forces se détruirait progressivement si elle n'était pas soumise à des forces régulatrices provenant d'une organisation politique et juridique.
La vie politico-juridique concerne et règle tout ce qui a trait aux relations d'homme à homme. Elle se fonde sur ce qui touche tous les hommes de la même manière, ce qui fait de chaque homme l'égal de tous les autres, ce qui fait sa valeur proprement humaine. Son domaine, c'est l'élaboration des droits de l'homme envers l'homme, l'élaboration des lois, et leur mise en application.
Dans ce domaine, chaque homme est apte à juger également par rapport aux autres qu'elle que soit ses facultés individuelles ou son pouvoir économique. La place que l'individu occupe dans le circuit économique ne doit influer en rien sur sa position juridique par rapport aux autres hommes.
Au sein d'un domaine donné, l'homme ne peut développer que les intérêts de ce domaine. Ainsi, la juridiction ne doit pas être l'expression des intérêts économiques. C'est pourquoi, parallèlement à la vie économique, et dans l'indépendance, doit s'épanouir une vie juridique (domaine de la politique, de l'État) dans laquelle les droits et devoirs de l'homme envers l'homme peuvent être établis et mis en application. Toujours en évolution, les lois reflèteront le consensus auquel aboutit l'ensemble des citoyens adultes et responsables appelés à donner leur avis.
Si l'État participe lui-même à la vie économique, il perd alors la faculté de régler la vie juridique via un point de vue extérieur nécessaire. C'est pourquoi il ne participera donc plus à aucune branche économique (afin d'éviter de d'élaborer des lois en fonction des intérêts de la vie économique). Un premier objectif impératif est donc de travailler à établir une séparation radicale entre la vie économique et l'organisation juridique.
Une organisation juridique pour l'administration et la représentation fonctionnant sur une base démocratique sera créée en toute autonomie par rapport à la vie économique.
Il est illusoire de penser que des institutions par elles-mêmes peuvent susciter des conditions de vie satisfaisantes sur le plan social sans que les hommes aient individuellement un état d'esprit social. Il s'agit de créer une vie culturelle* libre permettant aux impulsions sociales de la nature humaine de trouver leur épanouissement. Cette vie culturelle deviendra alors une source intarissable d'impulsions sociales qui imprègnera les relations juridiques et la direction de la vie économique.
La crise actuelle réclame le développement d'une autre impulsion pour l'exercice des facultés humaines dans le travail que la recherche égoïste du profit économique au moyen du capital.
La sphère culturelle repose sur les aptitudes, talents, facultés de chaque être humain pouvant s'exprimer dans les différents domaines de la vie culturelle : activité scientifique, philosophique, littéraire et artistique, activité religieuse, éducation, ... Ces facultés individuelles ne seront fécondes pour l'organisme social que si elles peuvent s'exprimer librement et ne sont pas influencées artificiellement par la vie économique ou par l'État afin de répondre à leurs besoins.
C'est de cette sphère que la vie de l'État et de l'économie pourront recevoir les forces régénératrices que l'État et l'économie ne pourraient se donner à eux-mêmes s'ils organisaient l'activité culturelle selon leur propre point de vue. Ces forces nouvelles proviennent de la création sans cesse renouvelée de l'esprit humain au sein d'une vie culturelle autonome et autogérée.
L'homme éduqué dans un régime d'autonomie culturelle refusera d'être intégré par la société à la manière d'un rouage de mécanique après avoir été fabriqué à partir d'un moule. On verra que son apport ne détruit pas l'harmonie d'ensemble, mais la parachève.
Vers une école (primaire, secondaire, supérieure, universitaire,...) autonome au plus près de la vie ...
Le fait que l'instruction publique incombe à l'État après que celle-ci l'ai retirée aux communautés religieuses est aujourd'hui si bien enraciné dans la conscience des hommes qu'il est difficile de la remettre en question sans se faire traiter de théoricien dépourvu de sens de la réalité. Or, le temps est venu où toute la vie culturelle doit pouvoir se libérer totalement du contrôle de l'État et avoir les possibilités de s'autogérer.
L'action féconde de l'école et de l'éducation ne saurait se développer qu'au sein d'une vie culturelle libre autogérée. De cette manière, les personnes chargées de l'instruction publique seront libérées des contraintes imposées par un programme pédagogique officiel de l'État en vue de former des citoyens répondant à ses besoins.
La matière de l'enseignement et le but de l'éducation doivent être exclusivement fondés sur la connaissance intime de l'être humain en formation, la reconnaissance et le libre développement de ses aptitudes, le développement du sens social. Au lieu d'appliquer un programme (les êtres humains ne sont pas des robots !), l'activité pédagogique s'inspirera de l'observation directe de la vie.
On pourra ainsi intégrer dans l'organisation culturelle des spécialistes du secteur économique ou juridique disposant d'une expérience pratique de longue date. Les responsables de la vie culturelle pourront faire des stages périodiques qui leur permettront de garder un contact fructueux avec la réalité pratique. Des échanges permanents entre la vie culturelle et les autres domaines de l'organisation social pourront être établis.
Ce libre développement des facultés ne peut se faire que grâce à la liberté dont les éducateurs jouissent eux-mêmes. En effet, la reconnaissance, l'épanouissement des facultés individuelles et leur formation pratique dans un certain domaine dépendent de l'expérience, des qualités personnelles de l'enseignant dans ce domaine et non de critères étrangers. Des hommes sensibles à la réalité sociale ne peuvent être formés qu'au moyen d'une éducation dirigée et gérée par ceux qui ont déjà, eux-mêmes, ce sens social. Or, il est antisocial de faire éduquer et instruire la jeunesse par des gens qui deviennent étranger à la vie et dénués de sens pratique parce qu'ils se voient prescrire, de l'extérieur, le sens et le contenu de leur activité.
Ni l'État, ni la vie économique ne sont habilités à déterminer les qualités requises pour une fonction donnée et de demander à l'organe culturel de développer les connaissances et aptitudes en vue de satisfaire leurs besoins. Au contraire, l'État et l'économie seront contraints à s'adapter aux progrès réalisés dans le domaine de la vie culturelle et à adopter des formes qui puissent s'harmoniser avec les exigences de la nature humaine. De cette manière, l'ordre social pourra s'enrichir des impulsions toujours nouvelles qu'apportent les générations montantes.
Au lieu de subir l'effet paralysant des contraintes provenant des impératifs d'ordre politique et économique, une vie culturelle autonome englobant l'école et l'éducation formera des individus pleins d'énergie et d'enthousiasme au service de la société.
Enfin, l'administration scolaire, l'instauration des cours, les objectifs d'études ne reviendra qu'aux personnes prenant une part active dans l'enseignement ou exerçant une activité créatrice dans un autre domaine de la vie culturelle. Ainsi, ce dont on aura fait l'expérience directement dans la pratique de l'enseignement ou dans tout autre activité intellectuelle et créatrice se répercutera au niveau de l'administration et de la gestion en terme de forces vives.
Chacune de ces personnes partagerait son temps entre l'enseignement ou le travail intellectuel d'une part, et l'administration de l'instruction publique d'autre part.
Il s'agira dans un premier temps de renoncer peu à peu à ce que l'administration de la vie culturelle et de l'économie se fasse au sein de l'État politique en réduisant progressivement l'enseignement public et l'économie régie par l'État.
Les rapports entre les directions des corps juridiques, économiques et culturels se feront à peu près comme se font, actuellement, les rapports entre gouvernements d'États souverains. Chaque domaine dispose en effet de sa propre organisation et administration.
L'organisme fédératif global composé des délégués des trois administrations centrales empêchera avec un maximum d'efficacité tout empiètement d'un domaine de la vie sociale sur l'autre. Ces administrations permettront une influence de la vie économique sur la vie culturelle ou juridique exclusivement si cette influence répond à l'intérêt général de la société tout entière, non à celui d'un groupe particulier.
Au sein du circuit économique ne devrait circuler que des marchandises (marchandise = toute chose transformée par le travail de l'homme et mise à la disposition des consommateurs sous forme de biens ou services en contrepartie de sa valeur représentée en argent).
Or, on constate que le travail et les droits y circulent aussi :
Ceci provient de la nature intrinsèque de l'économie, où tout ce qui y entre reçoit obligatoirement ce caractère de marchandise ayant une certaine valeur.
Comment donc éviter la marchandisation du travail humain et des droits ?
L'autonomie de la vie culturelle et de la vie juridique fera perdre aux moyens de production, à la terre et au travail humain leur caractère de marchandise. Les chapitres suivants (voir menus ci-contre) permettent de comprendre et d'étayer ce point de vue.
Il y a intérêt à ce que des personnes ou groupes de personnes particulièrement qualifiés dans telle entreprise de production puissent librement s'associer et constituer des capitaux pour le compte de cette entreprise afin de produire dans les meilleures conditions les biens dont la collectivité a besoin. La possession de ces capitaux les dote par la même occasion d'un certain pouvoir économique.
La tri-articulation ne veut pas supprimer le capital et son accumulation entre les mains de et instaurer ainsi un nouvel ordre social sur cette base, car ce transfert ferait perdre au capital sa productivité économique qui est fondée sur le déploiement maximal d'initiatives et de compétences individuelles s'exprimant au moyen de la libre utilisation des capitaux en vue du bien commun. L'individu ne peut pas déployer ses capacités si tout ce qu'il entreprend et décide est subordonné à la volonté collective et à la lourdeur bureaucratique propre à ce système de propriété.
La libre initiative implique la libre disposition des moyens de production. La propriété privée n'est rien d'autre que le moyen de cette libre disposition.
Cette propriété crée un rapport juridique entre le propriétaire et les autres hommes. Le propriétaire a le droit de disposer de la propriété selon sa propre initiative (tandis que les autres hommes en sont exclus) aussi longtemps qu'il sert les intérêts de la collectivité, car ce n'est qu'avec le concours de la communauté qu'un individu au service de la collectivité peut produire grâce à la propriété privée.
Il en résulte que le capital (en tant que moyen de production) ainsi que les autres moyens de productions (bâtiments, terrain, machines, outils, matériel, ...) ne sont dès lors plus des marchandises, ils n'auront plus de valeurs marchandes.
Ce n'est pas la libre disposition du capital qui mène à des dommages sociaux, mais uniquement la persistance des droits à cette disposition quand ont cessé les conditions qui ont lié d'une manière judicieuse les facultés humaines individuelles et cette disposition. Exemple : je suis propriétaire d'une entreprise, mais je ne suis plus capable de la gérer correctement, par exemple suite à un problème de santé, ou à une évolution de la technologie qui dépasse mes compétences.
Il s'agit de donner à la propriété privée une orientation nouvelle : l'individu ne pourra, du fait de son intérêt privé, gérer les moyens de production aux dépens de la collectivité ; de même, la collectivité ne pourra les gérer d'une façon bureaucratique, au détriment de l'initiative et des capacités individuelles.
C'est à partir de l'État, organe juridique représentant la collectivité, que l'on veillera à ce que la disposition du droit à la propriété privée ne se transforme pas, avec le temps, en un moyen favorisant l'exercice d'un pouvoir préjudiciable à la collectivité. L'État n'administre pas lui-même la propriété privée (et n'en prendra jamais possession) mais interviendra au bon moment afin d'assurer la transmission du droit de disposition sur la propriété à une personne (ou à un groupe de personnes) dont les facultés individuelles lui permettent, de la meilleure façon possible, d'agir de manière avantageuse pour l'ensemble de la collectivité. De cette façon sera établie, entre une personnalité et des moyens de production, une liaison temporaire justifiée par ses facultés individuelles. Lorsque ces conditions qui lient une personnalité et les moyens de production n'existent plus, l'État pourra par exemple envisager de transmettre à un successeur le droit de disposition d'un capital ou de moyens de production. Le successeur acquerra sa charge par sa seule qualification et non au moyen de la puissance économique dont il pourrait bénéficier (comme c'est sinon le cas dans le cadre d'une succession par héritage ou de la prise de pouvoir d'un actionnaire via ses capacités financières).
L'État ne fait que définir les règles assurant qu'il y ait transmission et veille à ce que cette transmission ait lieu, mais pas davantage, il ne désigne pas lui-même le(s) successeur(s).
On ne saisit bien l'idée de la tri-articulation qu'en admettant que la vie économique a constamment besoin d'un correctif extérieur imposant un frein à ses forces internes de destruction pouvant rendre préjudice à la collectivité (la crise actuelle en est un exemple frappant). Ce correctif ne peut provenir que d'une vie juridique et une vie culturelle autonomes qui elles seules peuvent éveiller l'instinct de justice sociale. Sans ces correctifs, l'homme deviendrait un rouage dans une vie économique agissant comme une machine (voir « Les temps modernes » de Charlie Chaplin).
Toute personne ayant les compétences nécessaires devrait pouvoir accéder à la terre et la gérer librement en vue de fournir des produits de qualité à la collectivité. Or, c'est par la propriété privée que cette liberté de disposer des moyens de production, à savoir ici la terre, peut être assurée.
La libre initiative implique la libre disposition des moyens de production et la propriété privée n'est rien d'autre que le moyen de cette libre disposition (ce que ne permet pas la propriété collective organisée par une administration centrale).
Cependant, si l'utilisation exclusive et illimitée dans le temps d'une terre revient à quelqu'un du fait de l'acquisition de la propriété, un rapport de dépendance pourra s'établir entre le propriétaire qui ne cultive plus la terre et des hommes qui, afin de subvenir à leurs besoins, la loueront ou l'achèteront pour pouvoir la cultiver. En échange, le propriétaire recevra une rente foncière. L'utilisateur sera en quelque sorte contraint de donner une partie de ses récoltes (sous la forme d'un loyer, d'un intérêt, d'une part de ses revenus, ...) au propriétaire pour avoir le droit de cultiver ces terres. Il y a donc bien un échange entre un droit (l'accès à la terre) et une marchandise (ou de l'argent, contrepartie des marchandises) créant ainsi un rapport de dépendance et faussant de surcroit les prix des denrées agricoles (qui subissent une pression à la hausse). Le régime d'aides agricoles instauré par l'Europe favorise la spéculation foncière en liant les aides au nombre d'hectares dont dispose un agriculteur.
À côté de cette spéculation foncière s'ajoute une urbanisation croissante, ce qui rend l'accès à la terre et aux bâtiments agricoles très difficile, voire impossible, notamment pour des personnes non issues du milieu agricole mais disposant des compétences et de la motivation nécessaires.
Dans la vie économique, la terre ne doit plus être traitée comme une marchandise que l'on échange mais doit s'insérer dans la vie sociale par le droit d'utilisation qu'en a l'homme en tant que moyen de production en vue de produire des marchandises. L'accès à la terre (on peut étendre cela aussi aux autres moyens de production agricoles comme les bâtiments, le matériel, ...) suppose donc un rapport juridique devant être réglé en dehors du domaine économique.
Une institution juridique, organisée au sein de l'État, veillera au transfert (mais ne deviendra jamais propriétaire) du droit de propriété de la terre à un individu ayant les facultés nécessaires à sa bonne gestion. Ce droit de propriété n'est pas illimité dans le temps. Il sera en effet retiré et transféré à une autre personne s'il devient préjudiciable à la société et n'est plus au service de la collectivité.
Ces dernières années, de nouveaux outils pour aider l'installation de nouveaux producteurs ou pour pérenniser des fermes existantes sont apparus. Ils prennent la forme d'achats collectifs de terres (par exemple, au moyen de la création d'une coopérative à finalité sociale, voir à ce sujet les associations « Terre de Liens » en France et « Terre en vue » en Belgique).
Cependant, dans ces initiatives, le transfert du droit d'usage de la terre (on peut y inclure les bâtiments agricoles) en tant que moyen de production n'est pas totalement libéré de l'influence du circuit économique-marchand pour ne dépendre que des seules dispositions juridiques élaborées au sein de l'État. En effet, les coopérateurs achètent des « parts de terres », représentées par des parts financières au sein de la société coopérative, qu'ils peuvent à l'occasion vendre et dont ils peuvent éventuellement tirer un certain profit (dividende ou ristournes) bien que limité dans certains cas. Le pouvoir économique lié à la possession des actions de la société est toutefois fortement atténué du fait de la souscription des actions par un grand nombre de coopérateurs et de l'application éventuelle du principe « un homme, une voix » au sein de la société coopérative propriétaire des moyens de production.
En Allemagne, existent des associations sans but lucratif (ou des fondations) qui sont propriétaires de domaines agricoles, principalement gérés en agriculture biodynamique. L'association reçoit des dons en argent ou en nature (cela peut aller jusqu'à une ferme entière avec bâtiments et terres) et les donateurs perdent ainsi tout titre de propriété. Une étape supplémentaire dans la « démarchandisation » de la terre et des moyens de production en général est ainsi atteinte.
Le rôle de ces associations sans but lucratif consiste entre autre à :
En Belgique, une association sans but lucratif de ce genre (ASBL « Chante Terre ») a été créée en 1993 dans la région de Liège afin d'aider un agriculteur à acheter des terres qu'il risquait de perdre.
Des structures combinant association sans but lucratif (apports de dons, garante de la charte, transfert de droits d'usage, ...) et société coopérative foncière peuvent aussi être imaginées. « Terre de lien » en France et « Terre en vue » en Belgique, en consituent un exemple.
Il est à noter que toutes les initiatives mentionnées ci-dessus, constituent des formes transitoires et provisoires d'une évolution tendant au plein développement de la tri- articulation sociale. Dans un organisme social au sein duquel la tri-articulation sociale serait déjà suffisamment comprise et avancée, il ne serait pas nécessaire d'acheter les terres, biens fonciers et moyens de production pour les «libérer» du circuit économique-marchand.
Acheter des terres et moyens de production pour pouvoir ensuite en sortir le droit d'usage du circuit marchand est en soi paradoxal, puisque il faut d'abord poser un acte «marchand» pour qu'ils ne soient plus des marchandises. Une autre conséquence paradoxale réside dans le fait que si de très nombreux achats de terre étaient réalisés par de tels organismes spécialisés pour les «libérer», le prix des terres et biens fonciers en serait d'autant plus augmenté et donc leur valeur (et caractère) marchande augmenterait sur le marché, favorisant encore d'autant plus la spéculation (!). En outre, il faudrait consommer des capitaux extrêmement considérables pour réaliser de telles opérations de rachat qui n'augmentent en rien la production, ce qui aurait en définitive des effets « anti-sociaux » et «anti-économiques» à large échelle.
Dans un organisme social « tri-articulé », les modalités juridiques du transfert du droit d'usage seraient purement déterminées par voie de droit (ce qui requérait certaines métamorphoses relatives à l'ancien droit de propriété) et excluraient tout forme de possibilité de transfert par un simple acte d'achat marchand.
Dans la forme économique capitaliste, le travail humain s'est incorporé à l'organisme social de telle façon que l'employeur l'achète au travailleur, comme une marchandise. Un échange s'établit entre argent (salaire) et travail. Ne parle-t-on pas d'ailleurs d'un marché du travail dans lequel il faut pouvoir se vendre ? (une expression devenue courante depuis les années 1990 et qui fait pourtant clairement l'éloge de l'esclavage, comme concept qui devrait de toute évidence fonder la relation du travailleur à l'employeur).
Dans les comptes des entreprises, le coût du travail (rémunération) se trouve d'ailleurs comptabilisé dans les charges d'exploitation au même titre que les marchandises. Et il s'agit entre autre de minimiser ces coûts afin de maximiser les profits.
La cause de la marchandisation du travail humain est à chercher dans la nature intrinsèque de l'économie, car tout ce qui y entre reçoit obligatoirement ce caractère de marchandise ayant une certaine valeur. Or, à l'intérieur du circuit économique seuls sont échangeables des marchandises, produits de l'activité du travail humain.
La pensée moderne n'a pas appris à séparer deux facteurs tout à fait différents qui s'insèrent dans l'activité économique:
La question est donc de savoir comment on peut faire sortir cette force de travail du processus de l'économie pour qu'elle soit définie par des forces sociales aptes à lui enlever le caractère de marchandise ?
C'est une sphère juridique autonome qui imposera les limites dans lesquels cette force de travail pourra être mise à disposition au sein de l'économie. Cela concerne tout ce que l'on peut inclure aujourd'hui notamment dans le droit du travail : la nature du travail, l'environnement de travail, le temps de travail, le règlement des périodes de maladie et de congés, les normes de sécurité, la formation et la rupture du contrat de travail, le droit à la pension, la quote-part des travailleurs sur les bénéfices de la vente des marchandises déterminant les revenus,... Tout ceci ne devrait plus être définis à partir d'impératifs économiques mais de critères purement juridiques fondés sur la dignité humaine.
De quelle façon et dans quelle mesure, un homme a à travailler pour le maintien de l'organisme social, cela est réglé par le droit sur la base de ses capacités (physiques et intellectuelles) et en tenant compte des conditions d'une existence digne et humaine.
Un tel rapport entre le travail et l'ordre juridique contraindra les associations économiques actives dans la vie économique à compter avec ce qui « est du droit » comme avec une condition préalable de la même manière qu'avec les ressources naturelles.
Du fait de la division du travail, un individu isolé ne couvre pas tous ses besoins par son travail. Chacun travaille pour les autres et tous les autres couvrent les besoins de chacun. La division du travail exclut donc l'égoïsme sur le plan économique. La tâche de la science de l'économie deviendra d'extirper tout égoïsme des activités économiques et de pratiquer l'altruisme par pure exigence économique (et non moralisatrice ou religieuse). Poursuivre l'objectif de répondre de manière harmonieuse ux besoins de tous les acteurs (producteurs, distributeurs et consommateurs) se fait par la création d'associations économiques entre eux.
Or, actuellement, la rétribution du travail représentée par le salaire est le résultat d'un marché entre un travailleur vendant son travail et un employeur en faisant l'acquisition. Dans ce cadre, l'homme ne travaille pas pour les autres mais prioritairement pour la satisfaction de son profit personnel (le salaire).
Et dans certain cas, ces salaires peuvent prendre des proportions énormes par rapport aux besoins réels de la personne. C'est le cas par exemple des patrons de grandes entreprises pouvant toucher jusqu'à 50 fois plus que l'employé ordinaire (aux USA, jusqu'à plus de 700 fois plus !). Les arguments communément admis pour justifier ces montants sont divers : des responsabilités importantes, éviter que ces « top managers » ne partent ailleurs, ... Dans certain cas, lorsque les choses tournent mal comme par exemple lors de banqueroutes (dues à un manque de responsabilité ?), ces patrons partent effectivement mais souvent non sans avoir empoché de plantureux bonus !
L'objectif est de pouvoir remplacer la relation de salaire par la relation contractuelle de partage, concernant la production fabriquée en commun par les dirigeants et les travailleurs.
La production des marchandises se fait en effet par une action conjointe de l'employeur et des travailleurs. Du fait que les rapports juridiques et économiques (associations économiques) seront réglés dans deux domaines distincts et indépendants, le travailleur sera l'associé libre du directeur d'entreprise puisque leurs rapports seront fondés sur la répartition du fruit de leur travail (déterminée juridiquement) et non pas sur une pression résultant de la suprématie économique du personnel dirigeant ou d'investisseurs possédant le capital (celui-ci n'étant plus une marchandise dont on détient un droit de disponibilité illimité simplement en l'achetant, mais dont le droit de disponibilité est limité, car l'usage en est confié au(x) plus capable(s) de le mettre en œuvre dans l'intérêt collectif, aussi longtemps qu'ils sont en mesure de réaliser cette tâche).
La fabrication d'une marchandise crée un rapport juridique entre l'employé et l'entrepreneur du fait qu'elle implique l'intervention de la force de travail et donc des conditions de son utilisation. Ce rapport juridique doit être réglé sur une base démocratique par l'État en toute indépendance des organes de gestion de la vie économique.
De la vente de ces marchandises, le dirigeant reçoit une part, le travailleur reçoit l'autre part. Ainsi, des droits garantissant la quote-part des travailleurs sur les bénéfices de la vente des marchandises sont à établir. Cette quote-part doit être telle qu'elle puisse satisfaire leurs besoins durant la période de temps nécessaire pour créer à nouveau une production de la même espèce. La détermination de la valeur des marchandises à vendre tiendra compte des droits liés au travail. Elle sera fixée par rapport à la durée de leur production.
Voici comment on peut définir cette valeur :
La valeur juste d'une marchandise exprimée par son PRIX se détermine par rapport à d'autres marchandises (et ne peut résulter d'une fixation officielle). Elle sera égale à la contre-valeur nécessaire à la satisfaction de tous les besoins du travailleur et de ceux des personnes qui dépendent de lui (famille, personnes dont il a la charge...), jusqu'à ce qu'il ait créé à nouveau une production de la même espèce.
La division du travail et avec elle, la mécanisation et la robotisation croissante isolent le travailleur de celui qui utilise le produit de son travail et entraîne une perte d'intérêt immédiat porté au travail. En raison de nos conditions de vie moderne, il nous faut donc admettre la disparition d'une certaine forme d'intérêt pour le travail. Ce vide nécessite d'être comblé par l'apparition d'un autre genre d'intérêt, ce qui correspond à une aspiration sociale réelle et profonde d'une grande partie de l'humanité à savoir, le refus de travailler par contrainte économique mais pour des mobiles plus conformes à la dignité humaine.
C'est par la vie culturelle autonome que l'organisme social tri-articulé veut offrir à l'individu un champ d'expérience directe où il acquiert une connaissance vivante de la société humaine pour laquelle il est appelé à travailler et où il parvient à aimer son propre travail en raison de sa valeur pour la collectivité. Cet amour est comparable à celui qu'apporte l'artiste à la création de ses œuvres.
Une vie culturelle autonome crée des intérêts qui replacent le travail (et tout autre activité) dans un contexte communautaire et de ce fait lui donne un sens et une finalité. Ce sont ces forces nouvelles qui prendront le relais de l'appât du gain comme stimulant à la vie économique. L'accroissement du capital ne sera plus l'objectif immédiat et primordial mais apparaîtra comme conséquence d'autres objectifs. La passion du gain n'est pas une qualité inhérente à la nature humaine, mais résulte de la subordination de la vie culturelle à l'État et à l'économie.
A côté de l'apport de ces forces nouvelles, l'intérêt personnel du travailleur se transforme en intérêt social pour la communauté car il coopère à la constitution d'une vie juridique autonome où les hommes se rencontrent sur un pied d'égalité absolue.
Ce n'est que par le concours de tout l'organisme social qu'une entreprise a pu dégager des bénéfices en mettant en oeuvre des moyens de production. Ces moyens ont été créés grâce aux différents apports de la sphère culturelle (technologie, idées, forces organisatrices du travail,...) au cours du temps et lui sont mis à disposition via un transfert de droit de propriété (réglé au sein de la sphère juridique).
Dès lors, les bénéfices résultant de l'activité de l'entreprise de production (expansion du capital) pourraient prendre différentes directions :
Pour rappel, c'est à l'État de veiller à l'exécution de ces transferts de droits de disposition des moyens de production et à en diriger le déroulement.
L'épargne qui ne fait pas l'objet de dons à des institutions de l'organisme culturel, pourra bien entendu être mise à disposition d'entreprises de production via des prêts. Cette épargne demeurerait propriété personnelle de son acquéreur jusqu'à son décès (ou pour ses héritiers jusqu'à une certaine date). Ensuite, elle serait transférée exclusivement à une personne ou à un groupe de personnes productives intellectuellement ou matériellement et non pas à des gens non transformerait en rente entraînant ainsi un préjudice social. Ce n'est que dans le cas où aucune disposition n'aurait été prise par l'épargnant décédé (dernières volontés...) que l'État juridique se substituerait à lui et prendrait des dispositions par l'intermédiaire d'une institution de l'organisation culturelle, qui déterminerait la destination de « l'héritage ».
La tri-articulation de l'organisme social conduira à des relations internationales tri-articulées. Chacun des trois domaines aura sa relation indépendante avec le domaine correspondant des autres organismes sociaux. Ainsi, entre plusieurs pays, des relations économiques s'établiront, sans que les relations politiques y exercent une influence immédiate et réciproquement.
Les frontières territoriales apparaîtront sans importance pour la vie en commun des hommes. Une vie culturelle autonome doit pouvoir se développer au-delà des frontières politiques.
Un de ces domaines de la vie culturelle est représenté par la langue propre à un peuple et par tout ce qui se manifeste en relation avec la langue. Les hommes d'un territoire linguistique n'entreront pas dans des conflits anormaux avec ceux d'un autre territoire lorsque, pour faire valoir leur culture, ils ne se servent pas de l'organisation de l'État ou de la puissance économique.
L'humanité n'atteindra son plein épanouissement que lorsque les communautés de peuples (ethniques, linguistiques) réaliseront la tri-articulation interne de leurs propres organismes sociaux de telle manière que chacune des parties puisse développer avec d'autres organismes ses relations indépendantes. Entre peuples (sphère culturelle), nations (sphère juridique) et corps économiques se créent des relations de formes multiples qui relient chaque partie de l'humanité à d'autres parties, de telle manière que chacune tienne compte de la vie des autres, dans ses propres intérêts.
Tout ceci n'empêche pas qu'un organisme social tri-articulé puisse entrer en relations internationales avec d'autres pays même si la tri-articulation n'y est pas déjà appliquée.
Actuellement, les pays se font face non seulement en tant qu'unités culturelles et politico-juridiques, mais aussi en tant que représentants des intérêts économiques particuliers à leur territoire. Ces économies nationales, basées sur une confusion entre l'État et l'économie, contrarient la tendance unitaire de l'économie mondiale libérée de toute restriction territoriale.
La tri-articulation oriente la gestion économique selon des critères économiques et reconnaît aussi que les hommes ont des besoins culturels et juridiques devant être administrés de façon indépendante. De cette manière, les rapports culturels et juridiques internationaux se détachent de l'économie mondiale qui évolue selon ses lois propres. Sans cela, il est impossible d'élargir les économies nationales en une économie mondiale.
Dans une organisation économique à l'échelle mondiale, le libre-échange offrira la meilleure garantie pour l'établissement de prix justes dans les diverses régions de la terre. Cependant, cette économie mondiale évoluera dans les limites imposées par les rapports juridiques internationaux établis par les différentes sphères juridiques autonomes appartenant aux organismes sociaux tri-articulés impliqués dans ces échanges économiques internationaux.
Les préjudices éventuels issus des relations commerciales avec des « États unitaires » (ne pratiquant pas la tri-articulation) peuvent être compensés par certain dispositifs d'ordre protectionniste.
Le commerce international ne devra par exemple pas provoquer la ruine de certaines branches de la production nécessaires à l'intérieur d'un pays par l'offre à bon marché d'une marchandise analogue provenant de l'étranger. Des droits de douanes seront perçus dont le montant, géré par des associations affiliées au circuit économique, alimentera des œuvres sociales.
De plus, tout entreprise étrangère qui voudrait travailler au détriment de son pays d'implantation en serait empêchée par les associations desquelles elle fait partie et dont elle ne pourrait s'exclure sans paralyser son propre fonctionnement.