La Démocratie Évolutive permet à chacun de développer une citoyenneté créative, favorisant l'émergence de nouvelles formes sociales lesquelles deviennent le reflet des aspirations individuelles et collectives, à un moment donné. Ces formes sociales sont évolutives, à la mesure de la mobilité et de la créativité des citoyens.
Un mythe tenace empêche la réalisation d'une véritable démocratie. Il s'agit de la croyance que l'on peut réformer par le haut. On attend alors la femme ou l'homme providentiel qui prendra en main les destinées du pays et apportera les solutions. Cette illusion s'intensifie lors de chaque campagne présidentielle et culmine le jour du vote populaire.
Mais les surlendemains ont toujours un air de « gueule de bois ». Au fond de lui, le citoyen sait que toute réforme par le haut est mission impossible. Mais il s'adonne à ce mirage, faute d'une autre perspective.
Refondre la démocratie c'est se tourner vers le changement qui, en permanence, cherche à prendre corps sur le terrain, là où les citoyens vivent et agissent.
La Démocratie Évolutive place donc en son centre le droit à l'expérimentation. Pour entreprendre des réformes, elle n'attend pas que se dessine une majorité au niveau national et que des représentants du peuple votent une loi. Un tel processus tue la prise d'initiative par le citoyen, se révèle trop lourd et trop lent. En démocratie, une réforme et une innovation doivent pouvoir prendre corps là où elles apparaîssent comme projet.
Une telle approche suppose de revisiter les notions de gouvernement unitaire et de service public uniforme.
Pour entrer en Démocratie Évolutive, il n'est pas nécessaire de faire table rase du passé par une révolution. Il ne s'agit pas d'attendre le grand soir. Le nouveau doit pouvoir se mettre en oeuvre et coexister avec l'ancien, la transformation se faisant progressivement et s'améliorant au vu des résultats de l'expérimentation.
Pour que les citoyens soient en mesure d'innover, ils ont besoin d'un cadre légal qu'ils doivent pouvoir proposer eux-mêmes. Les citoyens doivent être en mesure d'intervenir directement dans les lois, sans passer par la représentation nationale. C'est ce que l'on appelle la démocratie directe laquelle utilise deux outils distincts: le référendum et l'intiative populaire. Ils sont le minimum vital de la démocratie. L'obtenir est la toute première étape vers l'évolutivité de notre société.
Parallèlement une autre démarche est à entreprendre, celle de la transformation de l'économie. Il serait illusoire de penser que davantage de démocratie suffirait à régler les problèmes du monde et que, par exemple, nous pourrions atteindre un partage plus équitable des richesses à partir d'une autre forme de gouvernement ou par des taxes et des impôts.
Une Démocratie Évolutive implique une toute nouvelle forme de service public. Pour la saisir, il convient, en premier lieu, de clarifier ce qu'est un service public, quels en sont les critères et comment les citoyens et les organisations doivent s'y conformer.
Dans chaque domaine on établit donc un cahier des charges qui définit les modalités, les règles et les obligations de contrôle auxquelles les institutions se soumettent si elles veulent avoir le label de service public. Ainsi, on sortira de l'opposition stérile entre les partisans du „moins d'État“ et les défenseurs du service public centralisé.
Depuis une vingtaine d'années, le démantèlement des services publics progresse rapidement. Est-il inéluctable? Pourquoi les discours et propositions des défenseurs des services publics n'ont-ils pas une force suffisante pour l'enrayer? Cette question ne devrait pas être escamotée. Il est incontournable de se mettre en face de cette réalité: l'idée de services publics uniformes, sur tout le territoire et réglés par un État central, n'a plus la force interne qui ferait rempart aux partisans de la privatisation. Nous devrions donc nous poser la question: la façon dont nous avons conçu la notion de service public est-elle conforme à la démocratie? N'est-elle pas un obstacle à la réalisation même d'un idéal qui nous est cher?
Poser cette question, c'est s'ouvrir à une autre façon d'envisager les services publics. C'est mettre en marche son imagination sociale vers d'autres possibles.
A la question "Qu'est-ce qu'un service public?", certains répondent qu'il s'agit de ce qui est régi par l'État. Cette définition est un peu courte, car l'État peut s'être approprié des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence; par exemple l'éducation, la culture, la santé, les routes, les transports ou La Poste.
Est-ce à dire que qu'ils sont de nature privée? Pas davantage ! Car il existe bien une notion d'intérêt général attachée à ces domaines. Mais nous ne parvenons pas à lui trouver sa place, car nous raisonnons encore dans les polarités: ou bien, ou bien. Soit c'est l'État, soit c'est privé.
L'approche des services publics que nous proposons veut sortir de cette logique binaire et explorer des voies différenciées, en fonction du domaine concerné. Nous voyons alors apparaître, entre l'État unitaire et le privé, un espace intermédiaire de gestion de certains services publics par la Société Civile.
L'exemple des Écoles de la Société Civile permet de voir comment cette nouvelle forme d'organisation pourrait prendre corps. Il s'agit d'un service public de l'économie non-marchande, qui a donc besoin de fonds publics. Des règles très strictes doivent encadrer l'utilisation de ces fonds qui ne sauraient servir des intérêts privés. Dans la rubrique Écoles de la Société Civile on trouvera un développement de cette nouvelle forme de service public pour l'éducation.
Dans une entreprise comme la Poste, la situation est bien différente. Il faut d'abord examiner en quoi cette activité se situe dans le domaine de l'économie marchande, tout en relevant d'un service d'intérêt général. Il apparaîtra alors que sa gestion réclame des compétences qui sont celles que l'on demande à toute entreprise, ce qui exclue que l'État unitaire en soit maître d'œuvre. Pour autant, La Poste doit-elle être une entreprise capitalistique, soumise aux lois du marché et de la concurrence? Là encore, au lieu de raisonner de façon binaire, nous pouvons regarder quelles sont les questions qui se posent et les traiter selon leur nature.
Il y a d'abord celle de la propriété de l'entreprise. L'approche que nous faisons du capital apportera un éclairage nouveau. Il sera alors possible de voir en quoi l'ouverture du capital de La Poste à des investisseurs privés est tout simplement un non-sens économique.
La question de la concurrence devrait être examinée à partir de critères environnementaux, d'une part et à partir du rôle des associations d'usagers, d'autre part.
Restera alors à clarifier le financement de ce qui relève du service public dans l'entreprise La Poste. Lorsqu'un facteur fait plusieurs kilomètres pour distribuer une lettre dans une maison isolée ou lorsque l'on maintient un bureau de poste dans un village qui a un volume de courrier restreint, l'entreprise travaille à perte sur ces opérations. Mais si, sur l'ensemble de son activité, elle dégage du bénéfice, elle a les moyens de payer ce service d'intérêt général. La situation est donc très différente de celle de l'école. Le rôle de l'État peut se limiter à établir un cahier des charges définissant les contraintes de service public incombant à La Poste. Dans les règles du jeu, il pourrait préciser comment l'entreprise doit chercher des solutions en partenariat avec les usagers. Localement, des solutions inédites pourraient apparaître. Elles montreraient rapidement l'intérêt qu'il y a à ce que les consommateurs soient considérés comme co-acteurs d'une telle entreprise. Nous ne faisons qu'indiquer, ici, les pistes de réflexions. Elles sont développées plus en détail, à titre d'exemples, dans la rubrique La Poste. Pour l'heure, nous voulons seulement montrer que la structure de La Poste, son lien avec le capital, ses contraintes de service public devraient être entièrement repensées. Il apparaîtra alors que son centre de gravité doit être déplacé de l'État unitaire vers la Société Civile. C'est un nouveau service public citoyen qui se dessinera, plus mobile, mais aussi plus en phase avec la vie.
Enfin, après les services publics de l'économie marchande et ceux de l'économie non-marchande, il reste ceux qui ont affaire avec ce que l'on appelle les fonctions régaliennes de l'État. Par exemple, la police ou l'armée. Là, l'État central est pleinement dans son rôle de maintien de l'ordre et de respect des lois. Ce n'est donc pas ce domaine qui est à transformer en premier lieu. Lorsque les autres formes de services publics auront évolué vers une prise en charge directe par la Société Civil, certaines questions sociales trouveront leur résolution, ce qui permettra que la police, l'armée et la justice soient situées à la place qui devrait être la leur: celles d'instances de dernier recours.
La mise en place progressive d'un Démocratie Évolutive passe, en premier lieu, par l'expérimentation de nouvelles formes de services publics dans les économies marchandes et non-marchandes. Les fonctions régaliennes traditionnelles, celles qui relèvent réellement de l'État central, sont d'une nature différente et n'appellent pas un traitement aussi urgent que les autres, dans la mesure où les citoyens ont mis en place une démocratie directe, leur permettant d'intervenir, à tout moment, pour contrôler et empêcher les dérives éventuelles d'un État central.
Il reste d'autres fonctions que l'on considère comme liées à la souveraineté de l'État. Il s'agit de la monnaie, de l'impôt et des finances publiques. Pour clarifier le rôle de l'État, dans ces domaines, il est nécessaire de développer une vision entièrement différente de la monnaie. C'est ce que nous faisons dans la partie Économie à Valeurs Humaines de ce site.
Imaginez une école publique directement gérée par les acteurs de l’éducation, enseignants et parents; une école moins pesante, plus à même de s’adapter aux besoins de la jeunesse, laquelle est en évolution permanente. Pour y parvenir, il nous faut interroger nos certitudes à partir de certaines questions qui touchent aux problèmes brûlants de notre système éducatif:
Répondre à ces quatre défis, c’est s’autoriser à penser des Écoles de la Société Civile.Dans les pays occidentaux, l'École Publique est à la croisée des chemins. A gauche, le monopole de l'Éducation Nationale; à droite la libéralisation et donc la marchandisation de l'éducation. Des pressions de plus en plus nettes voudraient que l'on s'oriente vers cette deuxième voie. Certains signes montrent que nous sommes déjà engagés dans une privatisation rampante du système scolaire. Elle pourrait se révéler inéluctable si nous persistons à maintenir, dans sa forme, une organisation monolithique, d'un autre âge, et qui répond de moins en moins aux besoins de la jeunesse et de la société. A la croisée des chemins, il existe pourtant une troisième voie, celle qui consisterait à définir les bases d'un service public de l'éducation adapté à la jeunesse du 21èmesiècle, et que nous appelons les Écoles de la Société Civile, des établissements publics gérés directement par les acteurs de l'éducation, enseignants et parents.
La voie de droite représente le courant néo-libéral avec, en fer de lance, l'Organisation Mondiale du Commerce. Actuellement, l'on parle moins de l'une des décisions de cette organisation qui a soulevé le plus de contestation, l'accord Général sur le Commerce des Services (AGCS). Pourtant ses promoteurs ne l'ont pas perdue de vue. Insensiblement, par petites touches, il est en train de se réaliser, notamment dans le domaine de l'éducation. L'objectif est donc de libéraliser le service public de l'éducation pour le soumettre aux lois du marché et ainsi, selon les partisans de cette solution, en améliorer la qualité et le coût. Ceux qui choisissent cette voie, pensent que l'école est une entreprise de services marchands et qu'elle doit être gérée selon les critères de rentabilité propre à ce secteur d'activité.
Cette marchandisation de l'école soulève de vives oppositions, notamment chez les enseignant(e)s qui dénoncent l'intrusion de critères commerciaux et financiers dans les programmes et les méthodes d'enseignement.
Mais jusqu'à présent, en réaction à cette ultra libéralisation, on a préféré suivre la voie connue et que l'on croit fiable, celle du monopole d'État sur l'école. On affirme alors qu'il est le moyen d'assurer la justice, l'égalité des chances, le brassage social, la citoyenneté, etc. Le problème est que l'on constate que toutes ces valeurs sont battues en brèche et que le système scolaire unifié se révèle de moins en moins capable de les réaliser.
Pendant longtemps, on a cru qu'il suffisait de lancer une nouvelle réforme pour enrayer la dégradation des valeurs citoyennes. Or, les uns après les autres, ces plans coûteux se sont révélés inopérants, quand ils n'aggravaient pas la situation. On a ainsi atteint un stade de délitement social tel que l'on ne sait plus comment procéder.
Dans ce genre de situations, la tentation naturelle est celle de la fuite en avant: réformer, encore réformer. A ce stade, les partisans du monopole d'État dans l'éducation pourraient se poser trois questions:
Pour expliquer la dégradation de l'École d'État, ses partisans invoquent également le manque de moyens humains et matériels. Cette raison est justifiée et le problème s'avère de plus en plus aigu. A tel point que l'on peut se demander si la diminution des postes d'enseignants ne procède pas du plan de libéralisation du service public, évoqué ci-dessus.
Mais le manque de moyens ne saurait tout expliquer. De plus, la recherche d'autres modes d'organisation de l'École Publique pourrait bien apporter de nouvelles perspectives. Des formes plus légères sont génératrices d'économies dans le domaine administratif qui permettent alors de dégager de nouveaux moyens pour la pédagogie. Les enseignants et les parents auraient tout intérêt à explorer cette troisième voie, celle des Écoles de la Société Civile. Pour avancer sur cette voie, il suffit d’accepter l’idée que :
S'il est un domaine qui réclame, en priorité, un regard neuf, c'est bien celui de l'école. Car la jeunesse est, elle-même, changement permanent. Les générations montantes n'ont pas la même relation à la vie que nous. Leurs aspirations sont innovantes. Si nous voulons qu'elles puissent se déployer et féconder la vie sociale, nous devons créer un cadre éducatif qui le rende possible.
De même que la vitalité de nos lacs et de nos rivières ne vient pas de la mer, mais des sources et des torrents; de même, la vie sociale se régénère par ce qui afflue de la jeunesse lorsque celle-ci parvient à maturité. Cette constatation simple, si elle était prise avec le sérieux qu'elle mérite, pourrait avoir des conséquences capitales pour notre civilisation qui se cherche. Il se pourrait bien que la mesure du succès de notre citoyenneté se fasse précisément sur ce point: en matière d'éducation, avons-nous su doter la société de structures nouvelles qui permettent une évolution permanente de l'école, en phase avec celle de la jeunesse?
La question n'est pas simple et les schémas traditionnels concernant le rôle de l'État dans l'éducation ne sont plus suffisants. Il convient de les repenser de fond en comble. Comment pourrions-nous baser l'école du 21ème siècle sur des principes vieux de 130 ans ? Ne devons-nous pas envisager une autre forme de service public de l'éducation ? Dans ce domaine, la crainte est de basculer dans un système privé. Cette crainte paralyse toute réflexion innovante.
Les acteurs de l'éducation sauront-ils se lancer dans le vide, comme des trapézistes, confiants qu'un peu plus loin se trouve un autre appui ? Sauront-ils imaginer un service public qui ne soit plus monolithique, qui laisse aux citoyens/ennes, enseignants ou parents, la possibilité de gérer eux-mêmes l'école, en direct, sans l'inertie d'un appareil étatique centralisé dont l'efficacité, le coût et la capacité d'innover de façon adaptée devront bien un jour faire l'objet d'une évaluation sérieuse?
En effet, on n'évitera plus de se poser les questions:
Autrement dit, l'école d'État fait-elle réellement ce que l'on prétend d'elle, ou bien avons-nous affaire à un mythe ? Si l'on creusait un peu la question, il se pourrait que l'on s'aperçoive que la notion même de service public de l'éducation vit de façon floue chez la plupart.
Si l'on pose la question : "Qu'est-ce qui fait qu'un service de l'éducation est public?", on obtient rarement des critères précis. Par exemple, on dira que "l'école est publique parce qu'elle est administrée par l'État", sans se rendre compte qu'il s'agit d'une affirmation ressemblant à une profession de foi. On a ainsi escamoté la réflexion qui permettrait de préciser les qualités qui font d'une école qu'elle est réellement publique. Si l'on parvenait à cerner de tels critères, on pourrait examiner si toutes les écoles administrées par l'État sont réellement publiques et s'il n'existe pas des écoles, en dehors du système dit officiel, qui se conforment déjà à ces critères mais qui sont condamnées à être rangées dans la catégorie des écoles privées parce qu'il n'en existe pas d'autre.
En réalité, derrière les réactions immédiates de défense de la citadelle de l'école d'État, se cachent de nombreuses peurs? Peut-on fonder un système scolaire sur la peur ?
Bien entendu, il ne s'agit pas de passer d'un extrême à l'autre. Rompre avec le monolithisme d'État, ne signifie pas qu'il faille basculer dans un laisser-faire. Des règles du jeu sont nécessaires, de façon à pouvoir agir en cas d'abus. Au fond, nous avons besoin, ou plutôt, la jeunesse a besoin :
Dans le document Principes juridiques de base pour des Écoles de la Société Civile, on trouvera exposés des instruments juridiques détaillés qui permettent de voir comment cette troisième voie peut s'envisager de façon concrète. Les droits et devoirs fondamentaux en matière d'éducation et d'enseignement y ont été élaborés ainsi que leur déclinaison dans des dispositions plus spécifiques au niveau de la loi et de la constitution.
Le document Organisation des Écoles de la Société Civile, décrit plus en détail ces écoles, le rôle des enseignants et des parents, le réseau qu'elles créent ensemble, quelque soit leur orientation pédagogique, la façon dont elles obtiennent le label Écoles de la Société Civile et comment elles le conservent, grâce aux contrôles exercés par un organisme certificateur indépendant, etc. Dans sa deuxième partie, ce document présente la Charte des Écoles de la Société Civile qui décrit les éléments incontournables auxquels les Écoles de la Société Civile doivent s'engager pour obtenir leur label.
Ainsi une nouvelle forme de service public, directement accompli par les citoyens, pourrait se mettre en place; progressivement, sans révolution, sans réforme coûteuse et inapplicable; tout simplement par l'évolution et le libre choix d'individus travaillant ensemble à l'éducation des enfants.
Nous proposons de définir les principes de base d’un Service Public de l’éducation pluraliste, permettant que des Écoles Publiques soient gérées aussi bien par l’État que par des citoyens, directement. Dans ce dernier cas, nous les appelons Écoles de la Société Civile.
Dans ce document de travail, volontairement succinct, nous mettons en évidence :
DROITS FONDAMENTAUX | COMMENTAIRES | |
---|---|---|
Enfants | Pluralisme scolaire et éducatif | Garantir que l'enfant puisse recevoir une éducation et un enseignement adaptés au développement de sa personnalité et de sa capacité à s'insérer dans la vie sociale |
Parents | Liberté de choix d’éducation et d’enseignement pour leurs enfants, avec les moyens de l'exercer | Garantir que les parents puissent choisir l'école qui convient à leur enfant |
Enseignants | Liberté de choix pédagogique et d'enseignement, avec les moyens de l'exercer | Garantir que les enseignants puissent adapter les contenus et méthodes pédagogiques aux enfants qui leur sont confiés |
Citoyens | Liberté de créer et administrer directement des Écoles de la Société Civile | Garantir que le principe de subsidiarité puisse s’appliquer au domaine de l’école |
Sur la base des droits fondamentaux ci-dessus, une école est dite publique lorsqu'elle satisfait aux conditions d’obligation, de gratuité, de respect des libertés de conscience de croyance des élèves et des parents. On reconnaîtra dans ces trois principes ceux qu'avait énoncé Jules Ferry et qui sont les piliers de l'École Publique. Ici nous les faisons descendre du piédestal de l'idéologie pour en trouver une application plus vivante et en phase avec notre époque.
DEVOIRS FONDAMENTAUX | PARENTS | ÉCOLES ET ENSEIGNANTS | ÉTAT |
---|---|---|---|
Obligation | Envoyer les enfants à l'école pendant le temps de la scolarité obligatoire | Accepter tous les enfants ou rechercher les solutions adaptées | Intervenir en cas de plainte ou d'abus constatés |
Gratuité | S'informer des programmes et méthodes des différentes écoles |
|
|
Respect des libertés de conscience et de croyance des élèves et des parents |
|
Intervenir en cas de plainte ou d’abus constatés |
La possibilité qu'un tel article constitutionnel puisse être un jour voté dépend d'une autre disposition que j'appelle le minimum vital de la démocratie. Il s'agit du droit d'Initiative Populaire, c'est-à-dire de la possibilité pour le peuple de proposer une loi en votation populaire. En théorie, une telle loi existe en France. Elle a été introduite, dans la constitution française, par Nicolas Sarkozy, en juillet 2008. Mais de façon telle qu'elle est quasiment inapplicable. Il faut en effet recueillir les signatures d'un cinquième des députés et de 10% des électeurs, soit environ quatre millions de personnes !!!.
Une véritable démocratie se doit d'être directe: le peuple doit pouvoir intervenir dans les lois votées par le parlement (droit de Référendum) et proposer lui-même des lois (droit d'Initiative Populaire).
Une nouvelle approche de l'économie qui a pour but de:
Comme pour la démocratie, ils nous faut disposer de nouveaux outils pour entrer dans un Économie à Valeurs Humaines, une économie qui parvient à se passer de la finance spéculative par la création d'un nouveau type de monnaie, laquelle permettra une transformation des notions de capital, de valeurs immobilières et de travail.
La crise économique et sociale, qui a éclaté en 2008, nous montre les effets du capitalisme du désastre, cette forme de capitalisme qui se nourrit de la spéculation. Pour l'endiguer et placer l'économie sur d'autres bases, il ne suffira plus de quelques idées simples, qu'elles soient de droite ou de gauche. Comme le dit Serge Halimi, "l'autre gauche" ne devrait pas se contenter de "dépoussiérer ses projets les plus modestes, utiles, mais tellement timides, sur la taxe Tobin, une augmentation du salaire minimum, un nouveau Bretton Wood, des fermes éoliennes"(1). Il s'agit d'aller beaucoup plus loin, d'atteindre ce dont on n'ose plus s'approcher, de peur de passer pour un rêveur, un utopiste, voire un illuminé. Il s'agit de repenser les fondements du système économique. Nous ne pouvons plus reculer. La crise n'est-elle pas en train de nous dire que, en tant que citoyen, nous devons oser nous approprier la marche de l'économie ?
Il est d'ailleurs intéressant de voir que la crise des subprime est passée par quatre phases qui correspondent aux quatre domaines de la croix de l'économie. Elle est partie de l'immobilier et s'est propagée, provoquant la crise de la capitalisation des banques, puis celle de la rareté de la monnaie et, enfin, celle des fermetures d'entreprises, s'accompagnant d'un chômage considérable. Ce sont donc les quatre domaines de la croix de l'économie qui ont été successivement touchés
Parvenir à les replacer, comme ils devraient l'être dans la vie sociale est la base d'une transformation en profondeur. Pour que celle-ci puisse prendre corps, dans la vie de tous les jours, il faudra faire un pas de plus , en s'appropriant des outils, c'est-à-dire des mesures concrètes permettant une relation nouvelle de l'être humain à ces quatre domaines.
L'image de la croix de l'économie permet de voir, sous forme de synthèse, les causes de la maladie de l'économie. Elle a été présentée, pour la première fois, dans le livre de Michel Laloux, La Démocratie Évolutive. Pour chacun des quatre domaines, il a proposé des formes de remèdes. Le schéma ci-dessus représente le cercle de l'économie, à l'intérieur duquel se font les échanges de biens et de services. Les quatre éléments qui sont à l'extérieur ne doivent pas pénétrer dans ce cercle. Autrement dit, si le capital, le foncier, la monnaie ou le travail deviennent marchandise, l'économie se désorganise. Lorsque l'on considère l'économie actuelle, il est clair que ces quatre facteurs ont pénétré dans ce cercle et depuis longtemps, ce qui explique le chaos auquel nous subissons.
En explorant la croix de l'économie, nous découvrons les conditions d'une Économie à Valeurs Humaines, c'est-à-dire une économie conçue et organisée pour l'être humain. Car il est une chose qui est indispensable d'affirmer et de fonder: l'asservissement de l'humain aux mécanismes du capitalisme sauvage n'est nullement une fatalité. Il cessera de l'être à partir du moment où nous développerons une citoyenneté active, capable d'intervenir dans la sphère de l'économie et de la dompter.
En premier lieu, nous devons jeter les bases d'un système monétaire entièrement au service de l'économie réelle. Pour être saine, la monnaie doit perdre son caractère de marchandise et devenir seulement instrument de mesure de l'échange. Nous faisons alors la distinction entre la monnaie de consommation et la monnaie de financement. Chacune d'elle devrait circuler dans des circuits séparés. Concrètement, deux types d'établissements gèreraient ces circuits. Les banques s'occuperaient de la seule monnaie de consommation. Les instituts de financement traiteraient tout ce qui a affaire avec la monnaie de financement.
Le passage entre ces deux circuits serait strictement réglementé. L'argent d'épargne perdrait de sa valeur chaque année. Et il serait prélevé un droit de passage lorsque de la monnaie d'épargne reviendrait sur un compte de consommation. L'argent provenant de la perte de valeur et de ce droit de passage irait alimenter un troisième circuit monétaire: la monnaie de don décrite à la rubrique Capital.
Nous aurons ainsi une monnaie de consommation qui sera le reflet exact des échanges de marchandises et de service; donc une monnaie parfaitement stable, ce qui aura une influence sur la façon d'envisager les notions de balance des paiements et de devises, c'est-à-dire la question des échanges économiques entre les pays et leur contrepartie monétaire. Aujourd'hui, les flux de monnaie de consommation et de monnaie de financement se mélangent également dans les transactions entre pays. Or ceci contribue fortement à l'instabilité des monnaies et permet de spéculer sur leur cours. Une Économie à Valeurs Humaines aura à cœur d'instaurer des mécanismes qui empêchent cette spéculation. Le premier pas consistera à rendre étanche la circulation entre les deux circuits. Le deuxième aura pour effet de rendre inutile la circulation, entre les pays, de la monnaie de financement.
Avec la monnaie de financement, nous touchons à un point essentiel qui permet à tout le système financier actuel de justifier son existence et donc de perdurer. En effet, nous vivons avec l'idée que, pour trouver des fonds, une entreprise doit se tourner vers un particulier ou une institution qui en possède déjà et qui accepte de les prêter ou de les investir.
Ainsi le financement des entreprises serait éternellement dépendant de cet argent qui a été accumulé dans le passé. Sans lui, aucune action future ne pourrait s'engager. Or ceci est déjà démenti par la pratique bancaire courante. En effet, en moyenne, une banque ne possède, sous forme de fonds propres, que 8% de tout ce qu'elle prête. C'est ce que l'on appelle le ratio McDonough. Autrement dit, la banque possède 1/12ème. Le reste elle le crée par un simple jeu d'écritures comptables. Nombreux sont ceux qui croient que ces 11/12ème sont de la monnaie virtuelle. Mais ceci n'est pas conforme à la réalité économique. Car ce qui a été ainsi créé repose sur un élément qui va devenir réel: l'activité de l'entreprise rendue possible par le prêt. Celle-ci générera les fonds qui permettront de rembourser le prêt et ainsi de détruire la monnaie qui avait été créée. C'est cette activité qui confère sa valeur au prêt et donc à la monnaie créée. Si elle ne se réalise pas comme prévu, le prêt ne sera pas remboursé. Le 1/12ème de fonds propres de la banque n'y changera rien. La crise des subprime a justement illustré ce fait.
Il faudra bien que l'on se rende à l'évidence que les 8% de fonds propres ne donnent aucune valeur à la monnaie créée par le prêt. Ce qui lui en donne, c'est la capacité de l'emprunteur à générer de l'activité qui lui permettra de rembourser. En définitive, ce sur quoi est adossé un prêt n'a rien à voir avec des fonds propres préexistant. Il est basé sur la capacité du banquier à évaluer la faisabilité du projet qui lui est présenté et qui fait l'objet de la demande de prêt. Lorsque cette capacité fait défaut chez le banquier, comme dans le cas des subprime, la banque peut être mise en faillite malgré les 8% de fonds propres.
Ceci est la plus importante leçon que l'on puisse tirer de la crise économique déclenchée par des prêt inconsidérés dans l'immobilier. Elle devrait nous permettre de voir qu'un nouveau type de financement est possible qui n'a pas besoin de s'adosser sur le passé. Au contraire, il tire sa valeur de ce qui sera créé, grâce à lui, par des activités futures.
Nous pouvons alors envisager des instituts de financement n'ayant plus besoin de fonds accumulés. Autrement dit, dans une Économie à Valeurs Humaines, l'épargne et le stockage de la monnaie devraient devenir inopérants. Il est donc essentiel de créer les instruments qui permettent de se passer de la capitalisation de la monnaie.
Si l'on prend la mesure de ce qui est dit ici, on réalisera que les deux types de monnaie, celle de consommation et celle d'investissement ne sont pas des marchandises mais qu'elles peuvent devenir des instruments de mesure de l'activité humaine, dans le domaine de la production et de l'échange.
Si l'on enlève à ces monnaies la possibilité de s'accumuler en un endroit quelconque du circuit économique, alors on supprime le facteur de chaos le plus important.
Cette approche des deux monnaies montre également que les institutions chargées de les gérer, banques et instituts de financement, ne peuvent être contrôlées par des intérêts privés. La conception même de ces monnaies montre que nous avons affaire à ce qui relève du service public. Une conception saine de la monnaie ne peut conduire qu'à la notion d'un service d'intérêt général, un service public.
Mais le fait de présenter la chose ainsi pourrait faire croire à une forme de nationalisation des banques de second rang et de la banque centrale. Or il ne s'agit pas de cela. Si nous changeons notre façon de concevoir la monnaie, nous ne pouvons éviter de transformer également notre façon de penser l'État et donc la démocratie. Les institutions financières dont nous parlons devraient s'inscrire dans une nouvelle forme de service public telle que la propose la Démocratie Évolutive.
Voir à ce sujet la rubrique Services publics Citoyens.
Si nous avons acquis les fondements d'une nouvelle monnaie, ou, pour être plus précis, de deux types de monnaies, nous pouvons nous tourner vers le capital. De la conception de la création monétaire pour l'investissement, découle naturellement une forme de capital qui n'a plus rien à voir avec l'actionnariat de la société anonyme. Dans l'optique d'une Économie à Valeurs Humaines, celle-ci est appelée à disparaître. Les dégâts qu'elle a causée dans l'économie ne sont plus à prouver. Mais ce qui a manqué, jusqu'à présent, c'est la possibilité de proposer une véritable alternative, celle du capitalisme d'État n'en étant pas une, comme l'expérience des pays de l'Europe de l'Est l'a montrée.
Le nouveau type de monnaie de financement que nous proposons permet de résoudre ce problème crucial et de considérer le capital, non plus comme un objet de possession, mais comme un prêt consenti à l'entreprise, donc remboursable. Seule cette mesure permettra de mettre un terme à la pression que les détenteurs des actions exercent sur l'entreprise, la considérant non pas comme un outil, mais comme une marchandise que l'on peut vendre ou acheter. En ce sens, la suppression de la société anonyme conduira à celle de la bourse, institution qui ne sert au financement des entreprises que de façon très marginale. Dès l'instant où ce financement est assuré par une monnaie de prêt, conçue comme un service public, la bourse n'a plus de raisons d'exister.
Il en résulte une double questions: qui est propriétaire de l'entreprise et à qui vont les bénéfices d'exploitation ?
Il ne s'agira pas de remplacer l'actionnariat anonyme par un actionnariat du personnel. Il convient de penser autrement en matière de bénéfice et également d'impôt. Il apparaîtra alors que les surplus dégagés par une entreprise devraient servir à financer sept domaines différents et que la santé, à la fois de l'entreprise et de la société, en dépend.
Nous serons alors en mesure d'élargir la notion d'impôt, en nous souvenant de son ancienne dénomination: les contributions. Regarder l'impôt sous cet angle, c'est considérer que la société ne peut fonctionner que des flux d'argent qui vont de l'économie marchande vers l'économie non-marchande. C'est donc introduire la notion de don en tant que facteur indispensable de la santé de l'économie. Nous considérerons donc un troisième circuit monétaire: la monnaie de don. Elle viendra s'ajouter à celle de consommation et celle de financement. Nous aurons alors des outils indispensable pour aborder la troisième branche de la croix de l'économie: le travail.
La séparation du salaire et du travail est une idée qui fait de plus en plus son chemin et qui est évoquée par plusieurs penseurs de l'économie. L'on parle notamment d'une allocation universelle. Mais les outils pour la réaliser manquent encore, d'une part parce que l'on reste au sein du même type d'organisation monétaire et capitalistique; d'autre part parce que l'on développe une vue essentiellement idéaliste de ce problème. Car si l'on allait jusqu'à le penser concrètement, l'on cernerait mieux où il se situe. Une observation qui englobe l'ensemble de la vie économique, qu'elle soit marchande ou non-marchande, montre qu'il ne manque pas de places de travail. Bien au contraire, dans les pays que l'on dit développés, il n'y a pas suffisamment de personnel pour répondre à l'ensemble des besoins. Le problème réside donc dans le fait que l'organisation actuelle du capital et de la monnaie ne permet pas que l'argent de rémunération arrive là où il est nécessaire qu'il soit. C'est donc cette question que nous avons à considérer en tout premier lieu. Elle nous conduit à proposer, à la place du contrat de travail, un double contrat: l'un pour la collaboration, l'autre pour la rémunération.
Pour en comprendre le sens, prenons deux situations dans lesquelles seraient deux entreprises A et B.
L'entreprise A a amélioré sa productivité en achetant une nouvelle machine qui fait le travail de plusieurs employés. Elle n'a donc plus de travail à proposer. Mais elle conserve ses possibilités de rémunération. Elle les a même probablement augmentées. Dans l'optique d'une forme d'entreprise qui ne serait pas liée à l'actionnariat, les collaborateurs dont le travail est maintenant assumé par une machine, deviennent disponibles pour une activité dans un autre domaine. Si l'entreprise A n'a rien à leur proposer, il est normal qu'ils s'orientent vers une autre entreprise. Leur contrat de collaboration va donc s'interrompre. Mais pas celui de rémunération puisque l'entreprise A dispose des moyens d'y faire face. Elle va donc continuer à rémunérer les employés pendant la période où ils recherchent un nouveau travail.
L'entreprise B est dans la situation inverse. Ses ventes ont baissé, en raison de la conjoncture. Elle doit revoir sa stratégie et son organisation de façon à surmonter cette difficulté. Si elle rompt le contrat de travail avec quelques collaborateurs, elle va se priver de leur expérience, alors que dans quelques mois, elle en aura de nouveau besoin. La baisse de son volume d'activité ne signifie pas qu'il y a un manque de travail à accomplir, au sein de l'entreprise. Dans ce cas, le contrat de collaboration n'a pas lieu d'être interrompu. Par contre, l'entreprise B a une difficulté pour la rémunération. La rupture du traditionnel contrat de travail n'est pas la solution la meilleure. Elle conduit l'entreprise à se priver de compétences utiles.
Nous nous trouvons devant une situation fréquente et qui appelle une nouvelle approche et de nouveaux outils, par exemple, la mutualisation des défaillances d'entreprises. C'est-à-dire une forme d'assurance permettant aux entreprises de faire face à des difficultés passagères, dans un cadre bien défini, comme pour tout contrat d'assurance. Cette idée peut sembler osée. Pourtant, nous la pratiquons en permanence pour ce qui concerne la rémunération. En effet, les cotisations pour le chômage sont aussi une forme d'assurance. Mais il apparaît clairement que le système actuel du chômage est contre-productif sur plusieurs plans.
La transformation du capital et du travail conduira également à celle de la notion de rémunération des retraites. En réalité, il s'agit là d'une question aussi mal posée que celle du chômage. Le capitalisme du désastre, enfermé dans sa propre logique, essaye d'inculquer aux peuples l'idée que les régimes de retraites seront bientôt en faillite et qu'il faut reculer l'âge où l'on peut cesser de travailler. La séparation du salaire et du travail, telle que nous la proposons, montrera à quel point cette pensée est insuffisante et qu'il existe une alternative.
Mais il y a d'autres raisons pour lesquelles la séparation du travail et du salaire est une nécessité. Elles sont plus subtiles et n'apparaissent que lorsque l'on considère l'ensemble de la vie sociale, en particulier la notion de créativité, au sens le plus large possible. Une Économie à Valeurs Humaines se doit donc d'inclure les conséquences économiques du développement des capacités créatrices de chacun dans le domaine du travail.
Les transformations dans le domaine de la monnaie, du capital et du travail en Économie à Valeurs Humaines auraient des conséquences à plusieurs niveaux. En particulier, on verra apparaître le financement de l'économie non-marchande par une troisième circulation monétaire que nous avons appelé la monnaie de don.
Celui qui portera un regard attentif sur cette approche nouvelle, même s'il l'approuve, ne manquera pas de constater qu'il manque une partie du financement nécessaire à l'économie non-marchande. Quelque soit la clé de répartition que l'on choisisse, la quantité de monnaie dégagée par l'économie marchande sera insuffisante pour alimenter le développement de l'économie non-marchande. A moins d'apporter les transformations indispensables dans le domaine de l'immobilier et du foncier.
Nous abordons là une question vitale pour la santé d'une Économie à Valeurs Humaines. Mais elle rencontrera, sans doutes, les plus fortes résistances, car elle ne touche pas uniquement les riches, ceux que l'on appelle les nantis, mais toute personne qui possède des terres ou un logement.
Car il s'agira de regarder ce qui se passe dans l'économie lorsqu'un bien a déjà été payé intégralement et que l'on continue d'en demander un prix. C'est la situation dans laquelle nous sommes avec l'immobilier.
Des logements qui sont loués, alors qu'ils ont été amortis continuent de peser sur l'ensemble de l'économie. Ceux qui y résident ont besoin d'un salaire qui, d'une façon ou d'une autre, inclue le loyer à payer. C'est donc l'ensemble de l'économie qui finance les logements loués, alors qu'ils ont peut-être été amortis deux, trois ou quatre fois. De l'argent est ainsi soutiré de la sphère économique sans qu'il y ait une prestation qui y corresponde. Ce n'est pas le cas lors du premier paiement du logement. Là il s'agit d'un acte d'économie réelle: de l'argent vient en règlement d'une création de valeurs économique faite par les artisans qui ont construit le logement.
Une pensée qui suit les phénomènes d'économie réelle jusque dans leurs conséquences finales ne manquera pas de conclure qu'avec l'immobilier, on quitte souvent cette sphère pour entrer dans celle de l'économie spéculative. Notons qu'il en va de même pour le foncier.
Nous mettons ainsi en évidence que la notion de loyer devrait être remplacée par celle de droit d'usage, lequel sera alors inférieur au montant des loyers actuels et couvrira les frais réels du logement, par exemple son entretien et sa rénovation. Ces frais sont intégralement partie de l'économie réelle, puisque des entreprises fourniront des prestations pour cette rénovation.
Ainsi, la part des salaires qui sert à payer les loyers pourra diminuer en proportion. Sur l'ensemble d'un pays, une telle mesure fera baisser considérablement ce que l'on appelle, aujourd'hui, la masse salariale, sans que le niveau de vie de chacun diminue, sauf celui de ceux qui tirent leurs revenus de la location de logements. L'argent qui sera ainsi dégagé, fournira le complément nécessaire au financement de l'économie non-marchande.
En Économie à Valeurs Humaines, il n'est pas possible de ne considérer qu'un aspect. La pensée doit peu à peu devenir capable d'englober l'ensemble. En particulier, elle doit pouvoir prendre en considération, simultanément, les quatre aspects de la croix de l'économie.
Pour l'orthodoxie monétaire, toute banque centrale se doit d'être indépendante de l'État. Il ne saurait donc exister un service public de la monnaie. Cette pensée a conduit à sa privatisation totale, en remettant le pouvoir de création monétaire aux seules banques privées. Une des conséquences de cette orientation est le problème de la dette insoutenable, d'abord des pays du tiers-monde puis, aujourd'hui, des pays occidentaux.
Des observateurs critiques de cette approche sont de l'avis que les pays ne seraient pas endettés s'ils n'avaient pas d'intérêts à payer. Dans leur livre La dette publique, une affaire rentable, AJ. Holbecq et P. Derudder ont calculé que le montant de la dette cumulée de la France, en 2006, était égal au total des intérêts sur les emprunts d'État payés par le pays entre 1979 et 2006. Ils en déduisent que si la Banque de France avait pu prêter au trésor public à taux zéro, la France n'aurait pas eu de dette en 2006. Autrement dit, la dette serait uniquement due au service de la dette. Tout se serait passé comme si la France n'avait emprunté que pour payer les intérêts de ses emprunts !!!
Penchons-nous sur la réalité de ces chiffres. Holbecq et Derudder ont fait leurs calculs en Euros constants de 2006. Ainsi la dette de 1979 est multipliée par 2.76, celle de 1980, par 2.43, etc. Le montant des intérêts payés s'en trouve donc considérablement augmenté par rapport à ce qui a été effectivement réglé, si l'on fait le calcul en Euros courants. Dans ce dernier cas, les intérêts cumulés payés par la France se montent à 888.50 milliards d'euros pour une dette de 1'142.20. Avec des emprunts à taux zéro, la dette s'élèverait quand même à 253.70 milliards, en 2006, soit le quart de ce qu'elle était à cette époque.
Certes, le calcul en Euro constant rend plus spectaculaire ce que l'on veut montrer. Mais il ne correspond pas à ce qui s'est passé au cours des années allant de 1979 à 2006. Ramener le montant des intérêts de 1979 à ce qu'il aurait été en 2006 est une extrapolation purement théorique qui introduit une erreur. Car les conditions économiques en début de la période considérée ne sont absolument pas comparables à celles de la fin.
Pour les besoins de leur démonstration, Holbecq et Derruder n'avaient pas besoin de pousser ainsi des chiffres qui sont suffisamment parlant lorsque l'on reste en Euros courants. Payer près de 890 milliards d'intérêts sur 30 ans est, en soi, un montant exorbitant.
En extrapolant le calcul pour les années 2007 à 2013, nous arriverions à un montant cumulé d'intérêts payés par la France de 1'200 milliards d'Euros depuis 1979. Le montant total de la dette souveraine étant de 1'950 milliards en 2013, il apparait que, avec un taux d'intérêts nul, la dette de la France ne serait que de 750 milliards d'Euro, soit environ 37 % du PIB.
En réalité, ce chiffre serait certainement bien plus bas. Car ces 1'200 milliards, répartis sur 34 ans, représentent un potentiel d'investissents productifs conséquent et donc une augmentation des recettes de l'État par l'impôt, celles-ci venant diminuer la dette.
Ces chiffres devraient nous donner à réfléchir au vrai problème que pose l'intérêt dans l'économie. Il s'agit là d'une question fondamentale qui est en amont de celle que l'on se pose habituellement sur le fait de savoir si la banque centrale doit être sous l'autorité de l'État.
De nombreux évènements locaux et mondiaux montrent que nous sommes entrés dans une période de changements, voire de bouleversements qui ont un impact dans les domaines scientifiques, technologiques, climatiques, etc. Mais dans chaque cas, nous pouvons nous demander si le changement correspond à une transformation ou s’il procède d’une continuation d’une approche ancienne des choses.
Pour ce qui est de la démocratie, il est indispensable de se poser la question, car le mot changement est bien galvaudé. Quel est le candidat à l’élection présidentielle de 2017 qui ne s’en réclame pas ? En politique, les mots sont vidés de leur sens et deviennent des outils de communication, souvent trompeuse. Par exemple, prenons l’expression Démocratie Participative. Elle a été fortement médiatisée par Ségolène Royal, au temps de la présidentielle de 2007. Depuis, elle est employée dans de nombreux contextes et ceux qui aspirent à une autre gouvernance de la chose publique l’utilisent. On a même pu le constater lors de la primaire du parti Les Républicains, par la bouche de Nathalie Kosciusko-Morizet. Mais d’autres qui ont une sensibilité politique opposée comme, par exemple, Les Indignés et les acteurs du mouvement Nuit Debout veulent aussi une nouvelle forme de participation citoyenne. Cette question est dans l’air du temps. Elle correspond à une aspiration populaire profonde et justifiée. Mais la réponse qui y est apportée procède, le plus souvent, d’une vision ancienne de la gouvernance, celle qui conserve la même structure étatique, en l’aménageant un peu pour laisser une place à la parole citoyenne. On va ainsi créer des conseils de citoyens et des conseils de quartiers dans lesquels seront débattues toutes les requêtes, lesquelles seront ensuite transmises au pouvoir exécutif, avec l’espoir que celui-ci les concrétisera. Le pouvoir politique se mettra donc à l’écoute du citoyen, tout en faisant perdurer l’organisation traditionnelle de l’État. Il s’agit bien d’un changement et non d’une trans-formation. Littéralement, cela veut dire que l’on n’est pas allé au-delà de la forme existante. Or peut-on dépasser une forme ou s’en affranchir, si l’on ne l’a pas entièrement revisitée ?
Nous voyons aujourd’hui des mouvements appeler à une sixième république. Très bien ! Lorsque nous l’aurons, nous en voudrons une septième, puis une huitième. Nos ancêtres ont attendu jusqu'au seizième Louis. Irons-nous jusqu'à la seizième république pour nous éveiller complètement, pour réaliser que le carcan n'est pas là où nous pensons qu'il se trouve ?
On parle beaucoup de réécrire la Constitution. Très bien aussi ! C'est absolument nécessaire. Mais avant d'en écrire le premier article, ne doit-on pas prendre conscience que nous nous plaçons d'emblée à l'intérieur d'un cadre qui est devenu invisible, car masqué par notre propre représentation de la démocratie. Le verrou principal qu'il faudrait faire sauter se trouve en nous. Si nous ne projetons pas suffisamment de lumière sur lui, nous nous retrouverons enfermés dans la même boîte que nous croirons différente parce que nous l'aurons repeinte. Nous devons penser en dehors de la boîte. Comment procéder ?
Avant de définir les institutions de l'État, nous devrions nous poser les questions: qu'est-ce que l'État ? Quel est son rôle ? Quel sont ses domaines ? Faute de traiter ces questions, au préalable, nous verrons se reproduire l'ordre ancien, une royauté présidentielle, une sorte de théocratie laïque qui peut aussi prendre la forme d'une dictature douce et participative.
Dans le champ politique actuel, celui qui s’est peut-être le plus approché du problème de la structure étatique est Alexandre Jardin qui a lancé le mouvement des Maisons Citoyennes et le parti Les Citoyens, avant de se déclarer candidat à l’élection présidentielle de 2017. Pour lui, ce sont ceux qui sont sur le terrain qui peuvent « faire » et qui sont en situation de faire évoluer les choses. Ceux qui sont dans l’appareil politique « disent », mais sont en dehors de la réalité. Ils sont « hors-sol ». Précisons qu’en présentant les choses de cette façon binaire, ce ne sont pas les personnes elles-mêmes qui sont en cause, mais les rôles que leur font jouer les institutions. Il s’agit d’un problème systémique qui est au-delà des qualités de chacun. Alexandre Jardin veut donc que l’on s’émancipe de ceux qu’il appelle les « dizeux » et que l’on donne le pouvoir aux « faizeux ». Toute la question est : comment fait-on ? Ce qui nous conduit à examiner le rôle exécutif de l’État.
Depuis l'école, nous vivons avec l'idée que l'État se compose de trois pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire. Ne devrions-nous pas revisiter, de fond en comble, cette notion, en particulier le premier pouvoir ? Nous pourrions discuter à l'infini pour déterminer si, dans le principe, l'État a un rôle exécutif. Le débat resterait très théorique. Une voie beaucoup plus rapide consiste à regarder, domaine par domaine, ministère par ministère, en quoi l'État a des compétences exécutives. En quoi l'appareil d'État est-il davantage capable de répondre aux nécessités du domaine concerné que les organisations de la société civile ?
Une telle approche, si elle était faite dans le détail et en mettant de côté toute idéologie, conduirait à un résultat étonnant: nous verrions fondre le nombre de ministères.
Naturellement, surgirait immédiatement la crainte d'une privatisation de l'État à la façon néo-libérale. C'est sur ce point qu'il nous faut être créatif. Au lieu de tout bloquer sous l'emprise de la peur, abordons la question en faisant preuve d’imagination et nous pourrons éviter de tomber d'un extrême dans l'autre. Pour cela, il nous faut accepter qu'il n'y a pas une seule forme de service public, celui que nous connaissons, central et uniforme. Nous pouvons très bien concevoir un service public de la société civile, avec des règles définies et des méthodes d'évaluations plus fiables que celles qui sont sous la coupe de l'appareil politique 1.
Nous découvrirons ainsi que, dans la plupart des domaines, le pouvoir exécutif devrait résider dans la société civile, laquelle montrera toujours qu'elle est plus créative et réactive qu'un appareil d'État lourd, échappant de plus en plus aux citoyens et agissant souvent de façon contraire à l'intérêt général, celui de la société civile et de la nature.
C'est donc à une véritable révolution de notre conception de l'État que nous devrions nous atteler, avant d'écrire la moindre ligne d'une nouvelle constitution, laquelle sera d'autant plus facile à rédiger que nous aurons clarifié ce préalable.
De nombreux citoyens pensent qu’il suffirait d’avoir un autre mode de désignation des élus et un bon système de contrôle de leur action. Ils voudraient y ajouter une dimension participative, par des assemblées de citoyens. Ils espèrent ainsi améliorer la gouvernance par le haut en élargissant la base de consultation. Mais une pyramide dont la base devient plus large reste une pyramide. Ce ne sont pas les demandes et avis qui doivent remonter au sommet de l’État. Une nouvelle impulsion démocratique consistera à prendre la direction inverse : faire descendre la chose publique dans la société civile qui en prend alors la responsabilité. Alors la citoyenneté ne sera plus délégation mais action.
La démocratie participative est une illusion car elle repose sur l’idée qu’un être humain ou un groupe de personnes, aussi compétentes, bien intentionnées et à l’écoute du peuple soient-elles puissent résoudre la complexité des questions et défis qui se posent à nos sociétés. Etre debout et réveillé dans la nuit démocratique que nous traversons, c’est d’abord se rendre compte que la gouvernance par le haut est une mission impossible et qu’il faut donc renoncer à ce projet irréaliste.
Il devient urgent d’explorer d’autres voies en ouvrant les portes à l’expérimentation d’une démocratie de la société civile, dans laquelle les acteurs de terrains auront la possibilité de chercher de nouvelles formes, de les corriger, de les améliorer, tout en se conformant aux règles de services publics qui auront été nouvellement définies.
Or notre constitution, nos lois et modes de fonctionnement de l’appareil d’État ne prévoient pas la possibilité d’expérimenter, laquelle implique nécessairement de déroger aux règles et habitudes en vigueur. De par la façon dont il est conçu, l’État exclut toute forme d’expérimentation par la société civile puisque la loi doit s’appliquer uniformément à tout le monde et en tous lieux. Si la loi restait dans le domaine des principes généraux, il n’y aurait rien à redire. Car elle ne déterminerait pas des formes précises. Il appartiendrait aux citoyens de choisir ces formes. Mais la loi est entrée dans le domaine de l’exécutif. Elle est à son service. Au parlement, la majorité doit suivre la direction impulsée par le président de la république et son gouvernement. De ce fait, les règles vont au-delà des seuls principes et entrent dans la forme. Elles encadrent tous les détails de la vie quotidienne, déterminant la façon d’exécuter la loi.
En France, les transformations doivent passer par le pouvoir exécutif centralisé. Les citoyens qui veulent innover dans le domaine sociétal se heurtent à des obstacles qui deviennent de plus en plus difficiles à surmonter. La plupart des gens voient que nous sommes parvenus à un point de blocage du fonctionnement des institutions. Mais nous constatons une impuissance à débloquer cette situation, quelques soient les personnes qui se trouvent à la tête de l’exécutif.
La constitution française et la forme de gouvernance sont conçues de telle façon que les transformations doivent être impulsées depuis le haut.
Or tout ce qui est nouveau jaillit sur le terrain, à partir des impulsions et des projets de ceux qui font. Il suffit de regarder ce qui se passe au sein de la société civile pour le constater. Les initiatives nouvelles foisonnent, mais ne peuvent se développer qu’en se heurtant à l’inertie ou même à l’opposition des institutions. C’est ainsi que les « faizeux » s’opposent aux « dizeux », pour reprendre l’expression d’Alexandre Jardin.
Il s’agit d’un problème systémique qui ne sera pas résolu tant que l’on ne se décidera pas à transférer le pouvoir exécutif aux « faizeux ». Mais un tel transfert ne se décrète pas. Il ne peut non plus advenir à la suite d’un Grand Soir auquel plus grand monde ne croit. Il ne se fera que par un processus évolutif, au fur et à mesure que des citoyens, à titre individuel ou regroupés en organisation de la société civile, assumeront les tâches dévolues au pouvoir exécutif actuel.
C’est par les initiatives de la société civile que la transformation se réalisera. Mais pour que cela puisse se faire, il faut, au niveau constitutionnel, une loi introduisant le principe d’expérimentation sociétale. Cette loi devrait porter sur quatre domaines :
Une expérimentation sociétale ne relève pas des intérêts privés. Elle touche à ce qui est d’intérêt général et sociétal. La loi devrait établir une procédure qui permettra de définir les domaines ouverts à cette expérimentation. Ceux-ci apparaîtront alors comme une nouvelle forme de services publics initiés et administrés par la société civile. Pour ce faire, nous avons besoin d’une définition claire, domaine par domaine, de ce qu’est un service public. Le fait de dire qu’un service public est un service réalisé par l’État est très insuffisant. Car nous n’avons même pas une notion consensuelle de ce qu’est l’État. Dans chaque cas, nous devrions savoir en quoi consiste le service public ; par exemple pour l’éducation, la santé, la monnaie, les infrastructures, l’énergie, les télécommunications, la police, l’armée, etc. Puis, nous devrions regarder quels sont ceux qui ont besoin d’une organisation unique et centrale et ceux pour lesquels la diversité est souhaitable, voire nécessaire ou même indispensable au bon fonctionnement de la société. Ceux-ci sont ceux que j’appelle les services publics de la société civile, en ce sens qu’ils peuvent être impulsés, de façons diverses, par des organisations non gouvernementales, tout en se conformant à des règles précises, selon des cahiers des charges, et avec des outils d’évaluations.
Il s’agirait d’établir une procédure permettant que, dans un cadre défini, des citoyens dérogent aux habitudes, aux pratiques gouvernementales et administratives, ou même à certaines lois françaises ou à des directives européennes, dans le but de permettre l’innovation sociétale. Le cadre devrait préciser les conditions à réunir, les limites et la durée de l’expérimentation, ainsi que les méthodes d’évaluations. Cette loi devrait également déterminer comment l’évaluation positive d’une expérimentation conduira à une redéfinition de la législation s’appliquant au domaine concerné et comment l’initiative pourra acquérir, par exemple, un nouveau statut de service public de la société civile.
Son rôle consisterait à faciliter la reconnaissance des projets, l’attribution du statut expérimental et l’organisation de leur suivi. Cet office serait indépendant du pouvoir exécutif. Il serait géré par des organisations non gouvernementales. Dans sa forme et son organisation, il procéderait déjà de ce qu’il est censé aider à mettre en place. Il serait une première réalisation d’un service public de la société civile.
L’Office d’Expérimentation Sociétale serait une interface indépendante entre le pouvoir exécutif et les citoyens.
Dans le domaine de la chose publique, accorder un droit, sans donner les moyens nécessaires à sa réalisation revient à limiter, voire empêcher sa concrétisation effective. Reconnaitre un droit à l’expérimentation sociétale implique donc d’organiser l’attribution de fonds à la réalisation des projets expérimentaux.
S’agirait-il de fonds publics ? Pour les projets qui n’ont pas un caractère privé et qui sont d’intérêt public, un financement public serait dans l’ordre des choses. Mais il serait sain que la société civile s’implique également, jusque dans le financement. On pourrait pratiquer un système de ce que les américains appellent les matching funds (financement en contrepartie): pour chaque Euro apporté par la société civile, l’État verserait un Euro. Ainsi les porteurs de projets devront montrer que ce qu’ils veulent faire rencontre un écho et est perçu comme nécessaire par un groupe de citoyens.
J’ai ainsi esquissé ce que pourrait être une forme évolutive de transformation de la société, à partir des impulsions citoyennes. En y réfléchissant bien, on se rendra compte que ce qui vient d’être décrit procède d’un mouvement qui est en sens opposé à celui de la démocratie participative, laquelle consiste à participer à la continuation du pouvoir central. La Démocratie Évolutive va dans l’autre sens. La chose publique est remise, peu à peu, entre les mains du public, c'est-à-dire des organisations d’acteurs de la société civile qui veulent servir des intérêts publics et non privés.
La superstructure étatique a montré qu’elle est un carcan. Ou, si l’on veut, elle est comparable à des échafaudages entourant une maison. Ils servent le temps de la construction. Personne ne dira que les échafaudages sont nécessaires pour tenir l’édifice et pour organiser la vie qui va s’y dérouler. Une autre dynamique doit prendre la place de celle qui a prévalu dans la phase de construction. La vie doit s’installer dans la maison Démocratie. Nous devons donc retirer les échafaudages. Ils ont permis de construire la république formelle, mais ils sont devenus mortifères. Alors la vie reviendra. Non pas en une seule fois, mais à mesure que les citoyens eux-mêmes décideront de prendre la responsabilité de créer et d’administrer de nouvelles formes sociales. Il appartient à la société civile de générer, de façon évolutive, sa démocratie.
11 janvier 2017
Le film DEMAIN a marqué les esprits, déclenchant beaucoup d’espoir. Plus d’un million de spectateurs ont vu que la société civile est résiliente. Elle est créative et trouve des solutions en dehors des circuits politiques et financiers habituels. Ce film met en évidence qu’un autre monde est en train de voir le jour. Par contraste, il souligne le décalage avec les modes de pensées des gouvernants dont on voit de plus en plus qu’ils n’ont plus de prise sur le cours des choses.
Cette impression de vie qui jaillit de DEMAIN ne doit pourtant pas nous faire tomber dans un optimisme simpliste. Car beaucoup de questions restent posées dans de nombreux domaines, en particulier dans celui de la monnaie, laquelle est la clé de toute transformation sociale qui voudrait s’inscrire dans la durée. Or ce qui est dit à ce sujet dans le film contient plusieurs problèmes. Il faudrait beaucoup plus qu’un article pour en traiter tous les aspects. Je relèverai seulement trois points.
Tout d’abord, parlons de la multiplicité des monnaies complémentaires. Sur fond de végétation luxuriante, il est suggéré qu’il devrait y avoir la même variété dans la monnaie que dans la nature. On montre ainsi que la monnaie est considérée comme un objet, au même titre que les choses de la nature. Or c’est précisément cette conception qui prévaut dans l’approche qu’en ont les économistes traditionnels et qui est à l’origine des grave disfonctionnements de tous les systèmes monétaires. Car si une chose de la nature peut devenir marchandise, alors, la monnaie, calquée sur la nature, en fait autant. Dès ce moment, elle devient malade.
Ce raisonnement est analogue à celui que ferait un marchand d’étoffes qui aurait en stock mille tissus différents et qui aurait mille unités de mesures, alors qu’une seule suffirait ; le mètre, par exemple. Nous parlons bien d’unité et non d’instrument de mesure. On fait souvent la confusion. Dans le magasin, il peut y avoir des mètres en bois, en métal, en plastique, etc. Mais ils se rapportent tous à la même unité, laquelle est indépendante du support matériel qui la représente. Dans le domaine de l’argent, c’est cette unité qui est réellement la monnaie et non le billet ou la pièce qui n’en sont que le signe matériel.
Si l’on n’est pas assez précis, alors on peut s’imaginer avoir créé une monnaie parce que l’on a imprimé des billets auxquels on donne un autre nom que l’Euro. En réalité ce sont toujours des Euros, habillés autrement. Car le prix affiché sur l’étiquette d’une marchandise sera en grande partie déterminé par l’Euro et, par exemple, tous les facteurs qui interviennent dans son taux de change face aux autres monnaies. Ce taux dépend, pour l’essentiel, de nombreux facteurs au niveau mondial. Le périmètre économique que l’on croit instaurer grâce à une monnaie complémentaire se révèlera toujours illusoire, car celle-ci n’a pas les attributs d’une monnaie et n’est que le prête nom de celle dont on espère s’affranchir 1.
Dans le film, une autre confusion est faite lorsqu’il est question du WIR2 qui est une comptabilité tenue par une coopérative dans laquelle les entreprises qui le souhaitent ont un compte. Celles qui ont une difficulté à payer leurs fournisseurs peuvent, sous certaines conditions, mettre leur compte à découvert. Elles disposent donc d’un crédit et de la monnaie est alors créée par de simples écritures comptables. Aucun billet ne circule. Le WIR a donc deux attributs : il est une comptabilité et il n’existe que par création monétaire en tant que crédit. La plupart des monnaies complémentaires n’ont aucun de ces deux attributs. Elles n’existent que par le change d’un billet (en Euro) contre un autre billet (en monnaie complémentaire) et elles ne sont pas dans le domaine du crédit. Il s’agit de monnaies qui servent uniquement pour la consommation quotidienne. La monnaie de crédit est d’une autre nature. Cette différence essentielle n’est remarquée ni par les banquiers et économistes traditionnels, ni par les tenants des monnaie complémentaires. Or on justifie ces dernières en prenant l’exemple du WIR. Ce raisonnement est analogue à celui qui dirait que la pomme est identique à la pêche car étant toutes deux sphériques.
Notons que, dans le film, la question monétaire est abordée en reprochant au système bancaire privé de créer la monnaie par un jeu d’écriture. Or c’est précisément ce qui se passe avec le WIR que l’on prend ensuite en exemple pour justifier les monnaies complémentaires. Étrange, non ? Ceci montre que l’analyse qui est faite du problème de la privatisation de la création monétaire par les banques de second rang est insuffisante et empêche de voir la vraie nature du problème.
Concluons avec le dernier point : à la fin de l’entretien avec Hervé Dubois, de la banque WIR, celui-ci dit que, si les monnaies complémentaires se développaient sur une plus large échelle, les mêmes problèmes que ceux des monnaies officielles apparaîtraient. Autrement dit, les monnaies complémentaires ne peuvent exister qu’à la marge. J’ai évoqué cette remarque avec plusieurs spectateurs du film. Aucun ne se souvenait de l’avoir entendue.
Les monnaies officielles sont gravement malades. Ne vaudrait-il pas mieux s’occuper de soigner les véritables causes de cette maladie ? Mais pour mettre à nu ces causes, il faudrait avoir une image claire de ce qu’est une monnaie en bonne santé. Sinon la monnaie de DEMAIN sera celle d’hier ou même d’avant-hier, mais pas celle de demain 3
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015, la « stratégie du choc » 2 a encore frappé et, cette fois, au niveau de toute l’Europe. Un message violent a été asséné aux peuples d’Europe. Ce message est celui qui est répété inlassablement depuis Margareth Thatcher, et même depuis Bretton Woods : There Is No Alternative (TINA) 3 . Les négociateurs Grecs ont cru pouvoir faire bouger les lignes. Ils pensaient qu’une impulsion populaire forte et une habileté tactique suffiraient. Il aura fallu six mois de négociations pour parvenir à la victoire par K.O., la seule méthode que le monde de la finance connaisse. Maintenant les peuples d’Europe le savent : There Is No Alternative. « Avez-vous enfin compris ? », tel est le message qui résonne après cette longue nuit qui a vu les dirigeants grecs capituler sur tous les points importants alors qu’ils venaient d’obtenir un mandat populaire clair pour n’en accepter aucun. Le paradoxe est tellement énorme qu’il souligne encore plus la puissance de la sphère financière. Il montre aussi que celle-ci est au- dessus des peuples et des parlements. Elle affirme sans ambigüité qu’en dehors d’elle, il n’y a point de salut.
Il y avait quelque chose de pitoyable à voir Alexis Tsipras déclarer : « J’assume la responsabilité pour un texte auquel je ne crois pas ». N’est-ce pas une autre façon de dire TINA ?
Depuis, la plupart des économistes ont exprimé qu’il s’agit là d’un mauvais accord, qu’il ne résoudra pas les problèmes, qu’il les aggravera probablement et qu’à la fin, l’Europe, dans son ensemble, en fera les frais, non seulement du point de vue économique, mais aussi sur le plan de la cohésion. On voit d’ailleurs aussitôt ressurgir les vieux clichés sur l’impérialisme allemand. Comme toujours, on cherche un bouc émissaire. Mais que le discours TINA s’exprime plus fortement par la bouche d’un Allemand, d’un Finlandais ou d’un autre peuple est, en soi, secondaire. De toute façon, il s’exprimera. Et ce sont bien tous les chefs d’États de la zone Euro qui se sont félicités d’être parvenus à un accord. Ils l’ont tous voulu, même Alexis Tsipras. Car tous en étaient arrivés à la même conclusion : There Is No Alternative.
Le pire est qu’ils ont raison. Tant que l’on reste dans le cadre imposé par le système financier, il n’y a pas d’autres possibilités. Ceux qui prétendent le contraire, ceux qui pensent que l’on pourrait prendre telle ou telle mesure, que l’on pourrait tempérer les exigences de la finance, tous ceux-là rêvent comme rêvaient les députés de Syriza lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir. Car ce pouvoir-là sera toujours celui des impuissants qui devront finalement rabaisser leurs prétentions.
Alors, faut-il se lancer dans la fuite en avant, comme le fait le président François Hollande en réclamant un gouvernement de la zone Euro ? À l’en croire (il n’est pas le seul), le problème viendrait d’un déficit de démocratie et de gouvernance démocratique. N’est-on pas en plein surréalisme ? Voilà un président qui a dû lui-même capituler devant la logique financière et qui prétend que l’on ferait mieux si l’on essayait à l’étage au-dessus ! Si les fondations d’un édifice sont inappropriées au terrain et que survient un choc sismique, on peut chercher refuge dans les étages supérieurs. On ne fera que tomber de plus haut !
Mettons-nous en face de la réalité : le problème ne sera jamais réglé par le seul jeu démocratique, si l’on ne résout pas simultanément celui de la finance. Le gouvernement grec vient d’en donner un nouvel exemple. Il avait toutes les cartes démocratiques en main et il a perdu.
Mais quel est le problème posé par la finance ? Il est d’une simplicité étonnante. Il ne se présente pas en termes d’équations complexes ou de courbes sophistiquées. La sphère financière pose problème parce que nous avons besoin d’elle. Nous ne savons pas faire sans elle. Que nous tentions d’aller à son encontre, de prendre des mesures qui la contrecarrent, elle nous dit : « Très bien, allez-y ! Mais les capitaux vont s’enfuir. Vous n’en aurez plus. Et quand vous en réclamerez, ils reviendront, mais à un taux plus élevé et avec des conditions plus difficiles à tenir. ». Ce discours est invariant et suffit à remettre au pas n’importe quel chef de gouvernement.
La question qui se pose donc est la suivante : n’y aurait-il pas une autre façon de financer l’activité économique ? Sera-t-on toujours dépendants des capitaux accumulés ? Pour répondre à cette question, il convient d’observer que ces capitaux résultent d’actes passés, qu'ils proviennent de l'épargne ou de la spéculation. Au moment où ils viennent s’investir dans un nouveau projet, ils n’apportent aucune garantie quant à la réussite de celui-ci. Ils peuvent tout aussi bien être engloutis si l’entreprise tombe en faillite. En ce sens, ils n’offrent rien de plus que des fonds qui proviendraient d’une création monétaire, comme cela se produit lors d’un prêt bancaire. Dans ce dernier cas, si l’entreprise se développe, le prêt est remboursé après quelques temps et la dépendance de l’emprunteur vis-à-vis du prêteur s’éteint d’elle-même, ce qui n'est pas le cas avec le capital d'entreprise qui demeure la propriété des investisseurs. Par essence, les capitaux résultant d’une accumulation n’apportent rien que le prêt bancaire ne puisse faire. Par contre, ils possèdent un pouvoir de coercition contre lequel tout autre pouvoir se révèle impuissant.
Prendre en compte ce fait nous conduit à une toute nouvelle approche du système bancaire et de la monnaie. Les capitaux provenant de l’épargne et de la spéculation créent une dépendance envers le passé. Nous devrions nous tourner vers ce que j’appelle une monnaie orientée futur pour tout ce qui concerne le financement de l’économie que ce soit celui des entreprises ou celui de l’État. Cela suppose une redéfinition des fonctions de la banque.
En tout premier lieu, une séparation entre les dépôts et les virements, d’une part ; les financements, d’autre part. Les premiers correspondent à la circulation monétaire courante que l’on peut nommer la Monnaie de Consommation et qui serait gérée par les Banques de Monnaie de Consommation. Les deuxièmes représentent la Monnaie de Financement et l’on peut appeler Instituts de Financement les institutions qui gèreraient ce deuxième circuit. Les règles qui détermineraient le fonctionnement de ces deux types d’institutions découleraient de la nature même de chacune de ces circulations.
Au fond, il s’agirait d’aller beaucoup plus loin que le fameux Glass-Steagle Act de 1933 4 , que l’on a exhumé lors de la crise des subprime et que l’on s’est empressé d’enterrer à nouveau. Pourtant le problème demeure et la crise grecque vient nous le rappeler. Les questions qu’elle pose sont beaucoup plus fondamentales que ne se l’imagine la pensée courante. Nous n’avons pas su les aborder de face en 2008 ; elles réapparaissent, sous une autre forme, dans le psychodrame européen actuel. Elles le feront encore et toujours dans d’autres crises qui se profilent déjà.
Nous n’avons pas d’autres choix que de mettre à plat notre conception ancienne de la monnaie et d’en édifier une nouvelle qui découle de ce que nous enseignent les évènements eux-mêmes, si l’on veut bien les écouter. A titre d’exemple, prenons la situation des banques grecques. Il est prévu de les recapitaliser pour un montant de 25 milliards d’Euros qui seront prêtés à la Grèce, avec des intérêts à payer qui viendront encore alourdir le budget de ce pays. Ces 25 milliards sont débloqués pour éviter la faillite des banques. Ils devraient permettre que ces établissements restaurent la confiance des déposants et évitent les retraits massifs et la fuite des capitaux. Ils ont aussi pour but que les banques fassent des prêts aux entreprises et aux particuliers, facilitant ainsi un redémarrage de l’économie grecque.
Examinons ces deux points à partir d’une conception nouvelle de la monnaie :
Concernant le financement de l’économie réelle, nous avons vu qu’il devrait se faire sur la base d’une monnaie orientée futur, c’est-à-dire avec une création monétaire à 100 % faite par les Instituts de Financement dont nous avons parlé 5 . Ce sont les qualités des projets des entreprises grecques qui font que les prêts seront remboursés. Si le personnel des Instituts de Financement évalue correctement la faisabilité de ces projets, le maximum de défauts de remboursements des entreprises travaillant dans l’économie réelle devrait être inférieur à 5 %. Autrement dit, le solde des prêts qui fonctionnent est largement excédentaire. Mais, pour que l’ensemble de la monnaie soit en équilibre, toute création monétaire par le prêt doit être suivie d’une destruction monétaire laquelle a lieu au moment du remboursement de ce prêt. Il faut donc prévoir la destruction des prêts qui ne seraient pas remboursés par les entreprises grecques. Si le taux de remboursement est supérieur à 95 %, une mutualisation est possible et une technique d’assurance permettrait que les Instituts de Financement recouvrent la totalité de leurs prêts.
Du point de vue de l’économie réelle, il est donc possible de mettre au point de nouvelles méthodes bancaires permettant le redémarrage de l’économie grecque. Il n’est pas nécessaire de faire appel à un financement européen et d’y impliquer l’État grec qui a déjà assez à faire pour ne pas se charger davantage avec ces 25 milliards. Le rôle du gouvernement grec pourrait se limiter à favoriser la naissance de tels Instituts de Financement soit en permettant à des acteurs de la société civile de les créer, soit en réquisitionnant une partie des banques existantes et en leur demandant de fonder des instituts indépendants. Dans les deux cas, ces nouveaux établissements devraient avoir un statut de service public que nous ne détaillerons pas ici.
Concernant les retraits massifs de capitaux, il conviendrait, là-aussi, de revisiter notre conception de la Monnaie de Consommation. Il me faudrait beaucoup plus qu’un article pour examiner les différents aspects de la question. Pour illustrer l’un d’entre eux, revenons en Grèce, dans une situation concrète et bien actuelle. Prenons le cas de madame Alpha ou de monsieur Lambda. Ils ont travaillé tout le mois de juin et ont reçu chacun un salaire de 1’000 € qui ont été virés sur leurs comptes, le dernier jour du mois. À compter du 1 er juillet, la banque reste fermée et ils ne peuvent retirer que 60 € au distributeur. Ils entendent des discussions vives, dans la rue. Certains prétendent que la banque n’aurait plus d’argent. Mais comment est-ce possible, se disent-ils ? Le virement est bien arrivé. L’argent est sur mon compte. Comment la banque ne l’aurait-elle plus ?
Un lecteur averti sourira d’une telle naïveté. Pourtant, il y a plus de bon sens qu’on ne le pense dans cette réaction de Mme. Alpha et de Mr. Lambda. Elle contient même la solution d’un des problèmes majeurs du système bancaire. On s’en est approché au moment de la crise des subprimes, lorsque l’on a reparlé du Glass-Steagall Act évoqué plus haut. Mais même au niveau de la recherche, le fond du problème n’a pas été, à ma connaissance, suffisamment abordé. Car si la banque de Mme. Alpha et de Mr. Lambda ne s’occupait que de la gestion des dépôts et des virements, elle ne pourrait pas être dans la situation actuelle des banques grecques. Elle serait une simple chambre d’enregistrement des entrées et des sorties sur les comptes des déposants. Autrement dit, elle ne s’occuperait que de l’argent que l’on utilise tous les jours et que j’appelle la Monnaie de Consommation. On éliminerait ainsi toute possibilité de Bank run. En effet, si une Banque de Monnaie de Consommation venait à cesser son activité ou même à faire faillite, les comptes des déposants seraient transférés dans un autre établissement, exactement comme dans le cas d’une entreprise qui change d’expert-comptable. Sa comptabilité passe d’un cabinet à l’autre, sans que les comptes en soient affectés.
En partant de faits simples, nous en arrivons à voir la fonction de la monnaie dans ce qu’elle devrait être par essence : une comptabilité. Elle donne un reflet de ce qui se passe dans l’économie réelle, lorsque l’on produit, vend et achète. Sitôt qu’elle va au-delà de ce rôle (lorsqu’elle entre dans la sphère de la spéculation), elle devient elle-même marchandise, au lieu de se limiter à n'être qu'instrument de mesure. En quelque sorte, elle devient juge et partie. Elle perd sa neutralité et est soumise à des variations, comme un mètre qui serait influencé dans sa longueur selon qu’il mesure un tissu, du bois ou du métal.
Mais que comptabilise la monnaie ? Elle comptabilise des droits à consommer. Que j’utilise un billet ou une carte bancaire pour payer un achat, le vendeur et moi sommes inscrits dans un ensemble de règles et de conventions liées à l’unité de compte que nous utilisons, l’Euro par exemple. Nous sommes donc dans le domaine du droit.
Si l’on saisissait ainsi la nature de la monnaie, en tant que droit à consommer, on réaliserait que la question de la sortie de la Grèce de la zone Euro est une question qui a été mal posée. De même que la Grèce, en tant que membre de l’Union Européenne, a droit à la libre circulation des marchandises, de même elle a droit à l’utilisation de l’Euro en tant qu’unité de compte. La Grèce a-t-elle fabriqué de la fausse monnaie ? A-t-elle triché avec les règles de l’Euro, en tant que Monnaie de Consommation ? Non ! Les problèmes économiques et financiers viennent d’une autre circulation monétaire, celle qui a affaire avec le financement de l’activité économique. Or les deux circulations, celle de la Monnaie de Consommation et celle de la Monnaie de Financement sont toujours ramenées à une seule. C’est bien visible dans le système bancaire et c’est ce qui cause la désorganisation d’une économie, notamment celle de la Grèce. Cette circulation unique influence la façon dont la crise grecque est abordée au niveau des pays de la zone Euro. La dette grecque a affaire avec la Monnaie de Financement. La question devrait être traitée pour elle-même. La lier à l’appartenance à la zone Euro est un non-sens monétaire dû au fait que la monnaie n’est pas considérée comme une unité de mesure, c’est-à-dire comme relevant du domaine du droit 6 .
Si l’État Grec fait défaut sur sa dette, cela ne doit pas empêcher de comptabiliser en Euros les achats de Mme Alpha. Si cette comptabilisation se fait dans le respect des règles, il n’en résultera aucun dommage pour la zone Euro. Bien au contraire, il est dans l’intérêt des entreprises appartenant à cette zone de pouvoir continuer à commercer avec les entreprises grecques, dans de bonnes conditions. En réalité, la zone Euro n’aurait aucun intérêt à un Grexit. Elle aurait tout à y perdre.
Alors comment en sortir ? Plutôt que d’endetter la Grèce avec la recapitalisation de ses banques, les pays européens auraient meilleur temps d’aider le gouvernement grec à mettre en place des Banques de Monnaies de Consommation ayant un statut de service public. L’opération pourrait se faire par reconversion d’une partie de l’infrastructure bancaire existante en unités autonomes, sans but lucratif. Leur comptabilité relative à leurs propres dépenses et recettes serait totalement séparée de celle des comptes des déposants. J’en décris le fonctionnement en détail dans mon livre Dépolluer l’économie 8 . Chacune suppose de revisiter la conception que l’on a de ces notions.
Dans cet article, j’ai voulu attirer l’attention sur une méthode d’approche de la question posée par la situation grecque. Le problème est de nature systémique et se révèle très profond. En réalité, il touche l’ensemble des pays du monde, notamment ceux de la zone Euro. L’aborder par une réflexion systémique consisterait à dire : la monnaie commune est en difficultés. Est-ce le mot commune qui est le problème, comme beaucoup le croient, ou bien est-ce le mot monnaie ?
Lorsque le mouvement Nuit debout est apparu, je me suis dit: ENFIN !!! Enfin des citoyens se réunissent pour dire non au carcan institutionnel dans lequel ils se sentent enfermés. Puis je me suis demandé : sommes-nous suffisamment réveillés sur la nature de ce carcan? On peut aussi dormir debout. Ou rêver à des lendemains qui chanteront. Par exemple, rêver à une sixième république, qui en appellera une septième, puis une huitième. Nos ancêtres ont attendu jusqu'au seizième Louis. Irons-nous jusqu'à la seizième république pour nous éveiller complètement, pour réaliser que le carcan n'est pas là où nous pensons qu'il se trouve ?
On parle beaucoup de réécrire la Constitution. Très bien ! C'est absolument nécessaire. Mais avant d'en écrire le premier article, ne doit-on pas prendre conscience que nous nous plaçons d'emblée à l'intérieur d'un cadre qui est devenu invisible, car masqué par notre propre représentation de la démocratie. Le verrou principal qu'il faudrait faire sauter se trouve en nous. Si nous ne projetons pas suffisamment de lumière sur lui, nous nous retrouverons enfermés dans la même boîte que nous croirons différente parce que nous l'aurons repeinte. Nous devons penser en dehors de la boîte. Comment procéder ?
Avant de définir les institutions de l'État, nous devrions nous poser les questions: qu'est-ce que l'État ? Quel est son rôle ? Quel sont ses domaines ? Faute de traiter ces questions, au préalable, nous verrons se reproduire l'ordre ancien, une royauté présidentielle, une sorte de théocratie laïque qui peut prendre la forme d'une dictature douce.
Depuis l'école, nous vivons avec l'idée que l'État se compose de trois pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire. Ne devrions-nous pas revisiter, de fond en comble, cette notion, en particulier le premier pouvoir ? Nous pourrions discuter à l'infini pour déterminer si, dans le principe, l'État a un rôle exécutif. Le débat resterait très théorique. Une voie beaucoup plus rapide consiste à regarder, domaine par domaine, ministère par ministère, en quoi l'État a des compétences exécutives. En quoi l'appareil d'État est-il davantage capable de répondre aux nécessités du domaine concerné que les organisations de la société civile ?
Une telle approche, si elle était faite dans le détail et en mettant de côté toute idéologie, conduirait à un résultat étonnant: nous verrions fondre le nombre de ministères.
Naturellement, surgirait immédiatement la crainte d'une privatisation de l'État à la façon néo-libérale. C'est là qu'il nous faut être créatif. Au lieu de tout bloquer sous l'emprise de la peur, abordons la question en faisant preuve d’imagination et nous pourrons éviter de tomber d'un extrême dans l'autre. Pour cela, il nous faut accepter qu'il n'y a pas une seule forme de service public, celui que nous connaissons, central et uniforme. Nous pouvons très bien concevoir un service public de la société civile, avec des règles définies et des méthodes d'évaluations plus fiables que celles qui sont sous la coupe de l'appareil politique 1 .
Nous découvrirons ainsi que, dans la plupart des domaines, le pouvoir exécutif devrait résider dans la société civile, laquelle montrera toujours qu'elle est plus créative et réactive qu'un appareil d'État lourd, échappant de plus en plus aux citoyens et agissant souvent de façon contraire à l'intérêt général, celui de la société civile et de la nature.
C'est donc à une véritable révolution de notre conception de l'État que nous devrions nous atteler, avant d'écrire la moindre ligne d'une nouvelle constitution, laquelle sera d'autant plus facile à rédiger que nous aurons clarifié ce préalable.
De nombreux citoyens pensent qu’il suffirait d’avoir un autre mode de désignation des élus et un bon système de contrôle de leur action. Ils voudraient y ajouter une dimension participative, par des assemblées de citoyens. Ils espèrent ainsi améliorer la gouvernance par le haut en élargissant la base de consultation. Mais une pyramide dont la base devient plus large reste une pyramide. Ce ne sont pas les demandes et avis qui doivent remonter au sommet de l’État. Une nouvelle impulsion démocratique consistera à prendre la direction inverse : faire descendre la chose publique dans la société civile qui en prend alors la responsabilité. Alors la citoyenneté ne sera plus délégation mais action.
La démocratie participative est une illusion car elle repose sur l’idée qu’un être humain ou un groupe de personnes, aussi compétentes, bien intentionnées et à l’écoute du peuple soient-elles puissent résoudre la complexité des questions et défis qui se posent à nos sociétés. Etre debout et réveillé dans la nuit démocratique que nous traversons, c’est d’abord se rendre compte que la gouvernance par le haut est une mission impossible et qu’il faut donc renoncer à ce projet irréaliste.
Il devient urgent d’explorer d’autres voies en ouvrant les portes à l’expérimentation d’une démocratie de la société civile, dans laquelle les acteurs de terrains auront la possibilité de chercher de nouvelles formes, de les corriger, de les améliorer, tout en se conformant aux règles de services publics qui auront été nouvellement définies.
La superstructure étatique a montré qu’elle est un carcan. Ou, si l’on veut, elle est comparable à des échafaudages entourant une maison. Ils servent le temps de la construction. Personne ne dira que les échafaudages sont nécessaires pour tenir l’édifice et pour organiser la vie qui va s’y dérouler. Une autre dynamique doit prendre la place de celle qui a prévalu dans la phase de construction. La vie doit s’installer dans la maison Démocratie. Nous devons donc retirer les échafaudages. Ils ont permis de construire la république formelle, mais ils sont devenus mortifères. Alors la vie reviendra. Non pas en une seule fois, mais à mesure que les citoyens eux-mêmes décideront de prendre la responsabilité de créer et d’administrer de nouvelles formes sociales. Il appartient à la société civile de générer, de façon évolutive, sa démocratie.
On peut caractériser les milieux alternatifs comme ceux au sein desquels on cherche à s’affranchir de la pensée unique et où l’on tente d’inventer des solutions nouvelles aux défis que pose la vie. Bien souvent on voit émerger des propositions pertinentes. Mais parfois, ce sont des idées qui semblent s’imposer comme une évidence au point que l’on s’arrête en chemin, sans les penser jusqu’au bout. Elles peuvent alors agir comme une nouvelle pensée unique au sein de mouvements alternatifs.
Ainsi, dans certains rassemblements altermondialistes, les propositions comme les monnaies locales et complémentaires ou le Revenu de Base Inconditionnel sont considérées, dans leurs domaines respectifs, comme La Solution, parce qu’elles semblent pouvoir être mises en pratique rapidement. Mais si l’on y regardait de plus près, peut-être s’apercevrait-on qu’elles laissent de côté des pans entiers d’une économie qui serait à la mesure de l’Humain 1
Or, pour s’édifier, celle-ci nécessite une pénétration en profondeur de l’ensemble de l’économie, en examinant, plus attentivement qu’on ne le fait, les causes premières de la situation actuelle. Faute de cette vision d’ensemble, on peut en venir à un système à la logique imparable comme celui que proposent les partisans du Revenu de Base Inconditionnel (RBI)2 et qui tente de se frayer un chemin dans le domaine public, en Allemagne et en Suisse, notamment.
Profitant de la démocratie directe, un groupe de citoyens suisses a lancé une Initiative Populaire visant à introduire dans la constitution l’instauration d’un Revenu de Base Inconditionnel qui permette «à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique».
S’il récolte les 100’000 signatures nécessaires, le texte sera soumis à votation populaire et le parlement, ainsi que le conseil Fédéral devront se prononcer, voire proposer une autre solution.
L’avantage de cette démarche est d’amener dans le débat public des questions sur le lien entre travail et rémunération. Cette problématique devient de plus en plus actuelle. Mais la tentative de la résoudre par une mesure automatique (les initiants proposent un revenu de base de 2’500 francs suisses (environ 2’000 €) pour chaque citoyen, de sa naissance à sa mort) n’est pas forcément la bonne.
Nous devrions être particulièrement attentifs à tout ce qui cherche à devenir automatisme dans la façon de régler l’économie. C’est souvent une façon de passer à côté des éléments les plus essentiels. Nous allons l’illustrer en examinant un aspect de l’argumentation des initiants.
Voici un extrait de ce que l’on peut lire sur le site de B.I.E.N-CH 3 :
«De par son inconditionnalité, le revenu de base brise la chaîne qui fait dépendre la couverture des besoins vitaux de l’accomplissement d’un travail rémunéré. Ce découplage partiel entre emploi et revenu est nécessaire en raison de la disparition des emplois stables traditionnels dans l’industrie et dans le secteur tertiaire, notamment dans les banques ainsi que dans d’autres branches. Le chômage et la précarité sont en majeure partie la conséquence d’une dynamique de rationalisation et d’automatisation qui rend l’objectif du retour au plein emploi caduc. Au contraire, la flexibilité de l’organisation des entreprises modernes conduit à une instabilité croissante de l’emploi rémunéré.
Par contre, le travail est toujours d’actualité et sa tâche est immense. Il est plus que jamais nécessaire que chacun puisse travailler, d’abord à prendre soin de lui-même, de ses parents, de ses enfants et de ses proches, travailler ensuite pour contribuer aux biens communs accessibles à tous (connaissances, arts, culture, logiciels, etc.), travailler enfin à inventer et à mettre en œuvre à toutes les échelles les moyens qui permettront de lé- guer une planète vivable aux générations futures.» Lien
Ce texte parle d’un découplage partiel qui serait réalisé par un moyen technique. Il n’aborde pas les raisons fondamentales d’une séparation entre travail et revenu. Il se contente de justifier ce découplage partiel par «la disparition des emplois stables traditionnels dans l’industrie et le secteur tertiaire», le chômage et la précarité. Il laisse de côté toute l’économie non-marchande et cantonne le plein-emploi à l’économie marchande. C’est exactement la façon de penser de l’économie ultra-libérale et qui la conduit à considérer la santé, l’éducation, l’art, etc. comme des charges pesant sur «l’économie» et qu’il faut compresser lorsque la croissance du PIB est en panne.
Dans la deuxième partie du texte cité, les initiants évoquent un certain nombre de services non-marchands: l’éducation, le soin aux personnes âgées, l’art, la culture, etc. Mais ils les placent en dehors de l’économie. Pour eux, il s’agit d’un travail situé dans une autre sphère et qui justifierait un Revenu de Base Inconditionnel
À mon sens, il serait utile de considérer cet aspect sous l’angle de la création de valeurs.
La notion de valeur ajoutée semble simple. Elle est bien connue de tous ceux qui ont des notions de base en économie, surtout depuis qu’a été instaurée la taxe sur la valeur ajoutée. Pourtant, il existe une manière de la regarder qui ouvre des perspectives très intéressantes et qui permet de se faire une image plus dynamique de ce qui constitue le fondement de toute l’économie. C’est le philosophe autrichien Rudolf Steiner 4 qui l’a développée au début de son cours d’économie sociale.
Précisons d’abord qu’il convient de faire une différence entre la valeur et le prix. Le même objet en vente dans deux magasins situés à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, l’un en France, l’autre en Suisse, représentent sans doute une valeur identique, du point de vue du processus économique. Mais le prix, pour des raisons liées à de nombreux facteurs, sera vraisemblablement différent.
La plus simple formation de valeurs en économie se manifeste au moment où quelque chose est extrait de la nature pour être échangé. Un poisson pêché dans une rivière et mangé directement par le pêcheur n’est pas devenu une valeur économique. Si le pêcheur le met dans un petit seau d’eau et l’apporte dans une ferme voisine pour l’échanger, il a créé une valeur qui entre dans l’économie. S’il met le poisson dans une glacière et le transporte au bourg voisin pour le vendre sur le marché, il a ajouté une nouvelle valeur. Du point de vue économique, le poisson qui est sur le marché n’est pas le même que celui qui est échangé à la ferme. Si un restaurateur achète ce poisson et l’apprête pour un client, il ajoute une nouvelle valeur à celles que le pêcheur avait introduites dans l’économie.
Nous pourrions prendre d’autres éléments provenant du sol ou du sous-sol, de l’air ou de l’eau, et suivre leur cheminement dans l’économie, à partir de valeurs qui sont apportées par l’activité humaine. Nous aurions alors devant nous tous les métiers qui sont en lien direct avec la nature: agriculteur, sylviculteur, apiculteur, pisciculteur, pêcheur, bucheron, etc. Si nous y ajoutons toute l’activité qui consiste à extraire des matières premières à partir du sous-sol, nous aurons devant nous ce que l’on appelle le secteur primaire.
Nous avons ainsi décrit le principe de base de l’économie. Nous regardons comment l’activité humaine s’applique à la nature. Nous ne contemplons pas la nature comme, par exemple, un peintre ou un scientifique le ferait. Nous l’examinons avec l’œil de l’économiste. La nature est alors observée au travers du travail humain. Si bien qu’un abricot sur un arbre ou vendu au bord d’une route ou bien dans un supermarché n’est pas le même abricot. Du point de vue économique, nous avons affaire à trois abricots différents.
Voyons maintenant comment le travail lui-même évolue et ce qui en résulte pour la formation des valeurs en économie. Un exemple simple nous fera comprendre de quoi il s’agit.
Reportons-nous en arrière, au moment de l’apparition des premières tronçonneuses. Un bucheron fait l’acquisition d’un de ces appareils et l’utilise pour la coupe du bois dans une forêt. Du point de vue visuel, les troncs d’arbres qu’il débite sont sensiblement les mêmes que ceux qu’il obtenait auparavant lorsqu’il utilisait des outils traditionnels.
En économie, la formation de la valeur, dans les deux cas, est très différente. Avec la tronçonneuse, le travail a été transformé. Ce n’est plus le même qui s’applique à la nature. Or ce qui a provoqué ce changement provient des capacités créatives de l’être humain. L’esprit humain, par les inventions, crée des outils et des machines qui modifient, parfois de façon radicale, le travail humain et transforme donc le processus qui conduit à la formation de valeurs en économie (Fig. 1).
Si, à partir de cette notion, nous considérons l’évolution de l’économie au cours du temps, nous voyons comment s’est formé le secteur secondaire, depuis l’artisanat jusqu’à l’industrie. Simultanément, nous constatons le phénomène de la division du travail. En le poussant un peu plus loin, nous verrions comment se forment d’autres valeurs économiques par le fait que la nature disparait de plus en plus et que passent au premier plan les capacités créatrices humaines. Pensons à un avocat, à un médecin ou à un informaticien qui invente un nouveau logiciel. C’est alors le secteur tertiaire qui apparait à notre regard d’économiste.
Nous avons ainsi mis en évidence une polarité dans la formation des valeurs. D’une part la nature transformée par le travail; d’autre part, le travail modifié par l’esprit humain.
Cette polarité nous a permis de saisir la dynamique des trois secteurs de l’économie. Nous pouvons en faire une représentation schématique (Fig. 2).
Ce schéma contient en lui la totalité de l’économie réelle. Tous les métiers, ceux de l’économie marchande et non marchande, y trouvent leur place.
Dans le secteur tertiaire, la nature tend à passer à l’arrière-plan de la production d’un acte économique. Les prestations d’un avocat s’appuient, d’une manière marginale, sur la nature. Son matériau est le corpus de lois lequel est une création humaine.
Si nous examinons de plus près ce secteur tertiaire, nous voyons se dessiner une transformation progressive. Prenons quelques exemples. Le but n’est pas de regarder, dans le détail, tous les métiers qui le composent. En premier lieu, il s’agit de voir à quel endroit apparaît l’économie non marchande, puis de saisir comment celle-ci peut être divisée en deux parties bien distinctes, l’une qui relève de l’État, l’autre qui est dans ce que l’on appelle généralement la culture (fi g. 3).
Au premier abord, il peut sembler étrange de parler de prestations économiques pour, par exemple, un gendarme ou un instituteur. Pourtant la contribution de l’un et de l’autre est essentielle au bon fonctionnement de l’économie. Imaginons le chaos qui résulterait du fait qu’il n’y ait personne pour faire respecter les lois. Les conséquences économiques ne tarderaient pas à se montrer.
De la même façon, un instituteur apporte à l’enfant des éléments qui lui permettent de se construire. Sans entrer dans les nuances qui seraient nécessaires, nous pouvons dire que, par exemple, la créativité dont quelqu’un pourra faire preuve dans sa vie professionnelle trouve souvent son origine dans la pédagogie qu’il a ou n’a pas vécue dans son enfance. Ici, la conséquence de la prestation de l’enseignant ou de l’éducateur se voit sur une période qui peut être très longue.
Dans les deux cas, le gendarme et l’instituteur, nous sommes devant une «production» qui n’est pas directement mesurable. La valeur économique créée ne peut pas recevoir une transposition directe sous forme de prix.
Selon cette approche, l’acte pédagogique est une création de valeurs. Il fait donc partie intégrante de l’économie. Mais la valeur ainsi apportée par le pédagogue est dans une dynamique de tendance opposée à celle de l’industrie. Cette diff érence se matérialise à la fois dans la formation des prix et dans la façon dont l’argent ira depuis les surplus de l’économie marchande vers l’économie non-marchande. Car le pédagogue ne vend pas sa prestation comme le ferait un industriel qui parvient à un prix par objet.
Il doit donc se créer une circulation monétaire allant du marchand au non-marchand et que Rudolf Steiner appelle l’argent de don. Pour éviter les connotations morales, je préfère la dénomination de Monnaie de Contribution. Jadis le terme de contribution désignait l’impôt. Nous pourrions l’utiliser, dans un sens renouvelé, pour caractériser les choix individuels faits par les citoyens pour affecter de l’argent vers des institutions de l’économie non-marchande.
L’initiative pour un Revenu de Base Inconditionnel parle de financer cette redistribution par l’impôt. Ce faisant, elle introduit une automaticité étrangère au processus économique. De quoi s’agit-il? Prenons un exemple.
On constate, à juste titre, qu’il y a une situation anormale dans le fait qu’un parent, qui reste à la maison pour s’occuper de ses enfants, soit pénalisé parce qu’il renonce à son travail et donc à son salaire. Abordons le problème du point de vue d’une véritable économie et demandons-nous quelle est la valeur économique ainsi créée par ce parent. Il faudra alors poser la question de la contribution que fait ce parent et donc, par exemple, de sa formation à la parentalité. Pourquoi un parent recevrait-il 2’500 francs par mois, s’il ne prend pas la peine de se former à l’un des métiers les plus difficiles?
Pour répondre à la question du statut social du parent, nous devrions mettre en place des processus autrement plus imaginatifs qu’un automatisme tel que le RBI. Procéder ainsi nous conduirait à penser l’économie de façon beaucoup plus vivante et globale, en y intégrant tous les facteurs.
Parmi les exemples mentionnés dans le texte cité, nous avons pris celui des parents. Nous pourrions en prendre d’autres. Il serait notamment intéressant de regarder à quel endroit le fait de «prendre soin de soi» (comme le disent les initiants) s’insère dans le processus économique (au sens où nous l’avons décrit). Le cadre de cet article ne permet pas d’entrer plus avant dans le détail.
Il est une question que l’on pourrait se poser: s’il n’y avait pas de chômage, si chacun avait un travail, les partisans du RBI auraient-ils fait les mêmes propositions, se seraient-ils mobilisés pour la cause qu’ils défendent? Dans le texte cité plus haut, il est dit que le plein emploi est caduc et, trois lignes plus loin, que «le travail est d’actualité et sa tâche est immense». Il y a là une contradiction.
Effectivement, le travail ne manque pas. Considérer qu’il y a du chômage, c’est ne pas parvenir à une vision globale des métiers, lesquels sont alors séparés en deux catégories: les productifs et les non-productifs. On croit réintégrer ces derniers dans l’économie en attribuant 2’500 francs à chacun. En réalité, on les traite à la marge, on institutionnalise leur marginalisation, au lieu de s’attaquer aux causes qui ont conduit à cette conception maladive du travail.
Car la caractéristique de l’initiative pour un Revenu de Base Inconditionnel est qu’elle ne change pas les fondements du système dans lequel nous sommes. Elle n’intervient en aucune façon sur les causes du désordre actuel. Au contraire, elle les laisse perdurer et leur procure du temps, leur donne un répit, alors qu’elles sont aux abois. Le capitalisme du désastre, comme le nomme Naomi Klein 5, continuera d’agir. Ses acteurs pourront facilement dire: vous avez obtenu le Revenu de Base Inconditionnel. Que voulez-vous de plus?
En réalité, aucun des problèmes actuels ne sera résolu par le biais du RBI. Pour s’en rendre compte, il faudrait faire descendre notre pensée dans les phénomènes économiques, les suivre jusque dans leurs conséquences les plus lointaines. Par exemple, il est à prévoir que les 2’500 francs seront progressivement absorbés par l’augmentation des prix, notamment ceux de l’immobilier. Pour lutter contre la poussée inflationniste, la Banque Nationale Suisse augmentera ses taux directeurs et l’on reviendra à des taux hypothécaire de 6 % dont les conséquences se sont révélées désastreuses, il y a une quinzaine d’années et qui ont ruiné de nombreux ménages suisses 6.
Vouloir résoudre un problème par une stratégie, avant d’en avoir éclairé les causes, c’est ajouter de la confusion au désordre. Au lieu de mobiliser notre énergie sur de tels combats, nous devrions nous mettre au travail sur les fondements des questions économiques. Nous trouverions alors comment faire en sorte que chaque création de valeur (au sens économique) soit considérée comme un travail et que la rémunération nécessaire soit dirigée vers celui qui en a permis l’apparition. Pas une rémunération à la marge comme le propose le RBI, mais une reconnaissance pleine et entière de chaque valeur économique créée. Alors, nous nous rendrions compte que les besoins sont immenses dans le domaine de l’économie non-marchande, en particulier la culture, l’éducation et la santé. Ces besoins s’avèreront au moins égaux au nombre de sans-emploi. Nous aurions là les bases pour aller, de façon durable, vers une résolution du lancinant problème du chômage. Au lieu du mécanisme du RBI, nous verrions apparaître la troisième circulation monétaire, la Monnaie de Contribution dont la mise en place est l’une des questions sociales les plus urgentes et qui nécessite qu’à tout instant le jugement humain intervienne dans le processus économique. L’humanisation de l’économie passe par là. Le Revenu de Base Inconditionnel la court-circuite.